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Le grand entretien

« Monter en compétences pour devenir IA compatible »

Le grand entretien | publié le : 14.09.2020 | Frédéric Brillet

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« Monter en compétences pour devenir IA compatible »

Crédit photo Frédéric Brillet

La chercheuse en ressources humaines aide à démystifier l’intelligence artificielle et à en évaluer l’impact sur les compétences, les métiers et le management.

Pourquoi ce titre Ce sera l’IA et moi ?

Il faut rassurer sur ce sujet qui suscite la peur : les gens craignent que l’IA les remplace, les mette au chômage, prenne des décisions à leur place, envahisse leur espace personnel et professionnel… Mais on ne peut avoir une opinion tranchée sur le sujet que si on possède un minimum de connaissances. Éduquer, c’est rendre la liberté de décider. Ce livre a justement pour objectif d’expliquer les fondamentaux de l’IA à tous les professionnels qui se demandent comment cette technologie qui s’étend partout va transformer leur métier et leur façon de travailler.

Que peut faire l’IA concrètement ?

Elle peut soit remplacer l’humain dans certaines tâches, soit l’assister en faisant avec lui, soit même augmenter ses compétences. Le remplacement se fait déjà sur les tâches à faible valeur ajoutée : le tri des mails, la prise de rendez-vous, l’extraction et le classement de données, la prévention de fraude, l’accueil ou l’assistance de premier niveau pour orienter le client ou l’usager. L’IA prend aussi en charge des tâches plus qualifiées en assistant les humains : elle aide ces derniers à optimiser leur temps de travail, à mieux gérer des projets, à analyser des données, à détecter des anomalies. Enfin, l’IA peut augmenter les compétences des personnes qui y recourent dans le domaine de la traduction, du conseil, de la créativité, de la prévision…

À quelles conditions peut-on lui confier une tâche ?

Au préalable, il faut se poser au moins quatre questions : comment garder les compétences et les connaissances liées à la tâche pour savoir la faire faire par un humain au cas où ? Comment repérer les biais et les erreurs de l’IA ? Comment la débrancher ? Comment apprendre de la machine pour monter en compétences en même temps qu’elle ? Il est enfin des compétences où l’humain demeure indispensable : la gestion de crise, l’adaptation à l’aléa et l’incertitude, la négociation, la prise en compte du politique et des aspects psychologiques dans les décisions.

L’IA se décline en différents outils…

Intégrés aux ordinateurs, les logiciels RPA (Robotic Process Automation) de nouvelle génération permettent d’automatiser des tâches comme la classification, la reconnaissance et la mise en relation de critères comme un numéro de compte et la facture. Plus visibles et spectaculaires, les cobots ou robots collaboratifs sont quant à eux utilisés dans les usines et entrepôts pour aider à ranger, porter, organiser, réaliser des tâches dans les environnements à risque. Ils évoluent rapidement avec de nouvelles fonctionnalités et interagissent de plus en plus entre eux. L’industrie 4.0 les intègre de plus en plus et parie sur leur rapide intégration avec des humains formés à travailler avec eux.

Quelles seront les conséquences sur l’emploi ?

Les études d’impact parviennent à des conclusions contradictoires. Les optimistes parient sur la destruction créatrice chère à Schumpeter, de nouveaux emplois se substituant à ceux qui disparaissent. Les pessimistes pensent qu’il n’y aura pas assez de travail pour tout le monde. Difficile de trancher en l’état actuel des choses mais observons ce qui se passe sur le terrain. D’abord, l’IA favorise l’émergence de nouveaux métiers très qualifiés : ingénieur spécialiste de la gestion de données, courtier de données, chef de projet chatbot… Par ailleurs, elle automatise des tâches répétitives à faible valeur ajoutée, libérant du temps pour les professionnels concernés qui verront leur métier se transformer. En revanche, dans certains métiers peu qualifiés, le remplacement des humains par l’IA peut s’envisager : ainsi l’émergence de véhicules autonomes laisse présager des disparitions d’emplois de chauffeurs routiers ou de taxis. Quoi qu’il en soit, tous les métiers seront impactés. Cela dit, il faut souligner un point essentiel : ce n’est pas parce que l’IA se révèle aussi ou plus performante qu’un humain pour réaliser une tâche qu’elle lui sera déléguée.

Qu’est-ce qui peut l’empêcher ?

C’est une question de stratégie d’entreprise et d’acceptation des clients ou usagers. Dans l’imagerie médicale, l’IA parvient déjà à mieux détecter certaines tumeurs que les radiologues humains. Mais quel patient accepterait d’être soigné par un robot qui lui annoncerait son diagnostic de cancer et un traitement sans aucune intervention humaine ? La technologie va donc surtout servir à assister et à compléter le travail des médecins. À l’autre extrémité, prenons le cas des métiers de caisse dans les grandes surfaces. C’est une fonction peu qualifiée, a priori menacée par l’essor du self-scanning. Mais là encore, nombre de clients ont envie quand ils se rendent en magasin d’interagir socialement, sinon autant acheter par internet. Les professionnels concernés devront donc se reconvertir, devenir plus polyvalents et donc qualifiés pour conseiller, assister, animer des rayons. Il va falloir réenchanter les lieux physiques en réinventant le rôle des métiers du présentiel. Et investir en formation pour faire monter en compétences les collaborateurs, redéfinir leurs postes et carrières. La question de la rémunération se posera ensuite : certains métiers pourraient donc finalement être revalorisés par l’IA.

Comment les actifs doivent-ils se préparer à l’avènement de l’IA ?

De nombreux métiers ont intérêt à se transformer en utilisant l’IA comme une alliée qui va leur permettre de prendre part à de nouvelles activités comme le conseil, l’explication de tableau de bord, la relation commerciale. L’IA présente aussi l’avantage d’éliminer les discriminations mais en même temps de développer une nouvelle catégorie de soft skills, « les compétences de centrage » que je définis comme celles qui constituent une bonne part de notre valeur ajoutée au travail. Elles représentent tout ce que l’IA nous vole mais qui nous est nécessaire pour ne pas en devenir esclave et demeurer employable. Il s’agit de l’attention, la mémoire, la gestion de notre planning et de notre stress. Le collaborateur va être amené à trouver de nouveaux équilibres entre être « IA compatible » et ces « compétences de centrage ».

Qu’apporte l’IA dans la gestion des ressources humaines ?

L’IA apporte de nombreuses innovations autorisées ou interdites suivant les législations. Plus protecteurs des données personnelles et des libertés individuelles que les États-Unis, les pays européens, notamment la France, encadrent son utilisation. L’IA ne peut servir à sélectionner les candidats à partir de l’analyse des émotions qu’ils manifestent lors des entretiens ou de l’analyse lexicale de leurs lettres de motivation. Aux États-Unis, les employeurs peuvent recourir à l’IA pour suivre de manière très précise l’activité professionnelle en ligne de chaque salarié et les évaluer ou récompenser sur cette base. En France, un tracking individuel en continu ne serait pas accepté. En revanche, il est possible de programmer un chatbot pour qu’il propose des offres en fonction du profil et des réponses du demandeur d’emploi. Autre point positif, en passant par des outils comme assessFirst ou Goshaba, l’IA contribue à réduire les discriminations à l’embauche que font les recruteurs humains.

Parcours

Après un doctorat en sciences de gestion, Cécile Dejoux a fait carrière dans la recherche et l’enseignement. Professeur des universités au Cnam et affiliée à l’ESCP Business School, elle est par ailleurs responsable nationale de la filière ressources humaines du Cnam où elle enseigne, dirige la chaire Learning Lab Human Change (Julhiet Sterwen et Malakoff Humanis) et officie comme chercheuse au Lirsa (Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur les sciences de l’action). Elle a conçu les Mooc « L’IA pour tous » et « Du manager au leader : devenir agile et collaboratif » sur Fun (plus de 300 000 inscrits dans 148 pays). Elle diffuse également ses connaissances au travers de conférences, d’une chaîne You Tube « Manager à l’ère du numérique et de l’IA » et d’une newsletter et vient de publier Ce sera l’IA et moi aux éditions Vuibert.

Auteur

  • Frédéric Brillet