Si la dynamique de l’alternance et de l’usage du CPF se poursuit sur les tendances actuelles, France Compétences risque de ne plus pouvoir les assurer financièrement, préviennent l’Igas et l’IGF. À l’horizon 2023, ce sont près de 5 milliards d’euros qui risquent de manquer…
Faudra-t-il à terme plafonner les entrées en apprentissage et le recours au CPF pour assurer la soutenabilité financière de la réforme de la formation de 2018 ? Les conclusions du rapport sur les conséquences de la loi Avenir professionnel corédigé par l’Inspection générale des finances (IGF) et celle des affaires sociales (Igas), récemment rendu public, tendent à aller dans ce sens. Dans ce pavé de 322 pages dont les recommandations étaient aussi attendues que redoutées par l’écosystème de la formation professionnelle dès le mois de janvier 2020, les inspecteurs calculent qu’à fiscalité égale et qu’à hausse constante des entrées en apprentissage et du recours au compte personnel de formation (CPF), 4,9 milliards d’euros pourraient manquer dans les caisses de France Compétences – l’organisme régulateur des fonds de la formation – à l’horizon 2023.
La faute originelle : une réforme à droit de tirage « no limits » sans enveloppe financière associée. « Une première depuis la loi fondatrice de 1971 », souffle un juriste spécialisé. Entre 2018 et 2020, portés par le succès de l’apprentissage (485 800 apprentis et alternants en 2019, soit une hausse de + 16 % par rapport à l’année précédente) et du CPF monétisé et aisément mobilisable via l’appli smartphone associée (1,3 million de comptes créés), France Compétences et les opérateurs de compétences (Opco), principaux financeurs de la formation et de l’alternance, ont donc dépensé sans compter… et ne disposaient pas de l’option de procéder autrement, car il s’agissait alors de promouvoir les dispositifs nés de la loi Pénicaud ! En 2019, France Compétences fut même autorisée, à titre exceptionnel, à emprunter en 2019 auprès des banques pour permettre aux Opco de reprendre, en 2019 et 2020, l’intégralité du stock des contrats d’apprentissage jusqu’alors déposés auprès de leurs anciens gestionnaires (régions, chambres de commerce, etc.) La facture finale, alors estimée à 2,5 milliards d’euros à l’horizon 2020, avait alerté Bercy et le ministère du Travail et justifié le lancement de la mission Igas/IGF.
Afin de retrouver l’équilibre financier du système « à court et moyen terme » et éviter un trou dans le budget de l’État de près de 5 milliards d’euros d’ici 2023, les inspecteurs ont planché sur plusieurs scénarios excluant d’emblée une augmentation des cotisations des entreprises : mettre les Opco à la diète en diminuant sensiblement leurs frais de gestion (sur lesquels, cependant, ces derniers ont pour mission de financer leurs réseaux de conseils auprès des entreprises de proximité…), réduire la voilure de la prise en charge des contrats d’alternance en limitant le « coût-contrat » à 6 000 euros (mauvaise nouvelle pour l’apprentissage dans le supérieur) ou limiter les prises en charge financières sur le CPF. Bref, des pistes visant à limiter l’hémorragie financière… au risque de briser la dynamique enclenchée par la réforme.