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Sur le terrain

Recrutement : L’espion américain qui venait de… YouTube

Sur le terrain | publié le : 31.08.2020 | Caroline Crosdale

La CIA s’appuie depuis toujours sur les prestigieuses universités américaines. Elle tente désormais d’élargir son recrutement en jouant la carte des plateformes de streaming.

« Découvrez la CIA : votre pays compte sur vous » : des vidéos de la Central Intelligence Agency, de 15, 60 et 90 secondes, sont apparues récemment, et pour la première fois, sur YouTube et Hulu. De fait, Langley, le QG des espions américains, recrute aujourd’hui ses hommes et ses femmes de l’ombre au grand jour, sur les réseaux sociaux ! Après avoir testé Instagram en 2019, c’est donc au tour de YouTube et Hulu. « Nous rencontrons les Américains là où ils sont – sur les réseaux sociaux », explique Sheronda Dorsey, en charge du recrutement. Il s’agit de donner aux jeunes de 18 à 35 ans un aperçu de ce que serait « une carrière excitante, qui pourrait faire partie de leur avenir », poursuit-elle. Le clip de la CIA fait penser à la série télévisée Homeland, qui met en scène de nombreuses espionnes. L’une des scènes montre l’échange discret d’une clé USB entre un fonctionnaire étranger et son agent traitant, une femme noire. « Votre succès ne sera pas connu du grand public, dit la publicité, mais ce sera essentiel pour la sécurité du pays. » Créée en 1947, l’agence a donc décidé de modifier ses méthodes de recrutement. Au lendemain de la guerre, la CIA privilégie les jeunes hommes blancs sortis des meilleures universités américaines. Celle de Yale, par exemple, fréquentée par les rejetons des riches familles « anglos », fournit le gros de ses troupes. Être chrétien est aussi un plus. Ses trois lettres ont même été détournées pour en faire des « Catholics In Action ».

Manque de diversité

Des décennies plus tard, le besoin de changement est flagrant. « Pour son propre bien, explique Nicholas Dujmovic, un ancien de la maison devenu professeur à la Catholic University of America, l’agence doit atteindre un public diversifié, des jeunes ayant vécu des expériences différentes et des groupes ethniques parlant d’autres langues. » Surtout s’il faut agir au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde. Gina Haspel, la première femme nommée à la tête de la CIA, est arrivée à la même conclusion. Si l’agence cultive le secret – le grand public ne connaît pas le nombre de ses espions –, les amateurs de vie clandestine sont apparemment nombreux. Selon Nicholas Dujmovic, la CIA examine chaque année « des milliers de candidatures pour des centaines de postes ». De même, Ned Price, ancien analyste et professeur à l’université de Georgetown, assure que son ex-employeur reçoit 10 000 CV par mois. Mais les jeunes, triés sur le volet, qui finissent par atteindre leur but sont un pâle reflet de l’Amérique. Un audit confié à Vernon Jordan, l’ancien président noir de la National Urban League, atteste du manque de diversité. Son rapport publié en 2015 conclut que les effectifs ne reflètent pas « la vitalité, la force et la diversité de notre nation ». Les minorités dans leur ensemble ne représentent que 24 % des effectifs. Et elles ne sont plus que 10,8 % à avoir atteint le niveau cadre supérieur (SIS pour Senior Intelligence Service). Les Noirs sont encore plus mal lotis : ils ne représentent que 11 % de l’effectif et 4,38 % des SIS.

Les femmes s’en sortent mieux. « Dans les années 1990, j’ai travaillé avec nombre de femmes brillantes, se souvient Nicholas Dujmovic. Et l’une d’entre elles débriefe aujourd’hui la Maison-Blanche. » Mais les Noirs américains ne posent même pas leur candidature. « Ils s’auto-éliminent », assure Nicholas Dujmovic. Pour corriger le tir, l’agence a fait des efforts en direction des universités noires. Et réalise ces clips inclusifs, censés toucher un public élargi de Noirs, d’Hispaniques, de citoyens d’origine arabe… Mais est-ce suffisant ? « La CIA devrait avoir une communication plus ouverte », reconnaît le professeur de la Catholic University of America. Sans dévoiler ses secrets, « elle pourrait expliquer ce qu’est l’espionnage, pourquoi il est nécessaire et qui s’en charge », ajoute-t-il.

Pas assez de geeks

Ce manque de diversité s’accompagne d’un déficit de talents dans de nouveaux métiers. Les exploits des espions russes sur la toile ont montré combien les geeks et les hackers peuvent faire la différence sur de multiples fronts : sécurité nationale, prolifération nucléaire, terrorisme… Mais la direction de la CIA le sait bien, ses cadres ne gagnent pas ce qu’un jeune génie de la Silicon Valley empoche. « On doit faire appel à leur patriotisme et au désir de servir », souligne le professeur Dujmovic. « Commencer votre carrière à la CIA, conclut le clip maison, et vous ferez plus pour votre pays que vous ne l’auriez jamais cru possible. »

Auteur

  • Caroline Crosdale