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Le tabou de la souffrance au travail dans l’ESS

Les clés | À lire | publié le : 20.07.2020 | Lydie Colders

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Le tabou de la souffrance au travail dans l’ESS

Crédit photo Lydie Colders

Dans Souffrance en milieu engagé, la journaliste Pascale-Dominique Russo lève le voile sur les conditions de travail éprouvantes des salariés de certaines structures de l’économie sociale et solidaire. Un secteur lacunaire en matière de gestion des ressources humaines et de dialogue social, soumis à des appels d’offres qui augmentent la pression sur les salariés. Une enquête éclairante.

Si l’économie sociale et solidaire attire des jeunes ou des salariés en quête de sens, le secteur n’est pourtant pas à l’abri de souffrance au travail, en « parfaite antinomie » avec les valeurs qu’il incarne. Partant de sa dernière expérience de journaliste au sein d’une mutuelle paritaire, où elle dit avoir observé « des humiliations et des mises à l’écart inadmissibles » et « un rythme de travail éreintant pour certains », Pascale-Dominique Russo a investigué sur les mauvaises conditions de travail qui existent dans certaines associations (Emmaüs Solidarité, France Terre d’Asile, le groupe SOS) ou dans les mutuelles de l’ESS (Chorum, Macif). Surcharge de travail, cas de burnout, turnover, son enquête met en lumière les failles du management, la faiblesse des ressources humaines dans ces structures. Allant jusqu’à l’absence pure et simple de prise en compte des risques professionnels, comme chez France Terre d’Asile, condamné en 2017 pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité, alors que le flux d’accueil d’immigrés « générait des rythmes de travail frénétiques ». L’enquête, qui s’appuie souvent sur des actions syndicales relayées dans la presse, eut mérité d’être approfondie. Mais via des témoignages de salariés, de syndicalistes et de dirigeants, la journaliste montre bien un secteur en tension, tiraillé entre management et culture militante : « Il y a un impensé pour les salariés, un déni de la situation d’employeur », résume un syndicaliste interviewé.

Problèmes politiques et de gouvernance

Sur le fond, Pascale-Dominique Russo explique que « le malaise profond et systématique » des associations est dû à l’engrenage des appels d’offres publics « concurrentiels » qui remplacent désormais les subventions. D’où selon elle une augmentation des CDD et des réorganisations parfois « source de souffrance ». À ceci s’ajouterait un problème de gouvernance : si certaines associations de l’ESS plus militantes que d’autres jouent le jeu d’un conseil d’administration intégrant les salariés, « la démocratie est à géométrie variable », note la journaliste. Les témoignages attestent aussi de relations tendues entre les membres des CA (chez Emmaüs International) refusant d’entendre les problèmes de surcharge de travail. Le livre est très critique sur la politique « très entrepreneuriale » du groupe SOS, qui ne jouerait pas le jeu du dialogue social avec les CSE, et n’aurait « pas de grille salariale ». Mais il est surtout accablant sur les mutuelles, la Macif en particulier, en pleine restructuration face « à la concurrence ». Ses valeurs mutualistes ne seraient plus qu’un leurre, fustige l’auteure, qui rend compte de rapports d’expertise des ex-CHSCT accablants sur « le contrôle » des salariés dans ces centres d’appels. Si la journaliste prône de « redonner une place aux IRP » dans la gouvernance de l’ESS, le livre donne un bon aperçu des enjeux délicats de professionnalisation des ressources humaines, dans un secteur où les salariés donnent beaucoup.

Auteur

  • Lydie Colders