Benoît Serre Partner au BCG, vice-président délégué de l’ANDRH
À peine nommé, le gouvernement veut reprendre la réforme des régimes de retraite. Cette annonce surprend au début d’un été dont chacun mesure qu’il sera particulier et préparatoire d’une rentrée difficile sur tous les plans.
Une telle précipitation étonne comme si ce projet devait constituer le marqueur du nouveau gouvernement nommé pour conduire la seconde phase du quinquennat : un gouvernement de combat de 600 jours vers qui s’avancent plusieurs fronts.
Il y a celui des retraites mais il y en a tant d’autres et d’abord celui de rassurer un pays traumatisé par la crise covid comme par les tensions qui, des Gilets jaunes aux retraites, ont jalonné les deux dernières années. Et puis il y a l’emploi, d’abord et avant tout. La crise sanitaire n’est pas terminée et la crise économique et sociale s’installe durablement.
Les plans sociaux annoncés se succèdent, dont certains au sein d’entreprises dont l’État est actionnaire. Ce dernier exige d’ailleurs que soient préférées aux licenciements les mesures négociées de départs volontaires et de fin de carrière. Il appelle pour cela au dialogue social avec les organisations syndicales dont certaines, partageant le constat de l’éprouvante situation qui se profile, semblent vouloir adapter leurs postures et leurs engagements.
Il est indispensable, si nous voulons nous en sortir, que la crise que nous traversons soit l’occasion d’une refondation du dialogue social.
Nous savons pourtant que le sujet des retraites, depuis des décennies, constitue un creuset de tension et d’incompréhension, de sentiment d’inéquité et d’inquiétude.
Cette chronique n’a aucune vocation politique. En revanche, analyser ce projet au regard des enjeux sociaux qui nous font face semble pertinent. Lorsqu’une entreprise envisage de lancer un projet de transformation, elle commence par le définir mais surtout par en expliquer les raisons, le rythme, en recherchant l’adhésion des salariés. Tout DRH sait bien que ce moment de l’annonce est déterminant pour la réussite du projet et que, parmi les actions à mettre en œuvre, il y a l’établissement des relais managériaux pour expliquer sur le terrain l’ambition transformatrice, en donner les éléments et permettre à chacun de comprendre comment il sera collectivement et individuellement impacté.
La réforme des retraites s’apparente à une telle transformation, et cela de l’aveu même du président de la République qui vise non pas à réformer un système à bout de souffle mais en transformer l’approche. C’est d’ailleurs pour cela qu’il s’agit de réforme systémique et non uniquement paramétrique.
Le déficit de 30 milliards ? Durant toute la crise, le gouvernement a annoncé avoir choisi « le déficit pour protéger l’emploi ». Comment faire admettre aux citoyens que leur retraite sera réformée sur ce seul motif à l’heure où les annonces du plan de relance se chiffrent en centaines de milliards ? Notre pays a tant de mal à maintenir les seniors dans l’emploi. Est-ce le moment de repousser l’âge de la retraite alors que nous entrons dans une période chômage massif ? 700 000 jeunes redoutent de ne pas trouver leur contrat d’alternance, d’apprentissage ou d’emploi. Est-il pertinent de prendre le risque d’une crise sociale supplémentaire au moment où les entreprises espéreront redémarrer ?
Nous avons une exigence de dialogue social et de solidarité pour faire face à la crise, engager les entreprises à être responsables et à dialoguer pour trouver des solutions comme le chômage de longue durée. Est-ce le moment de tendre plus que de raison les relations sociales au niveau national alors qu’au contraire chacun a besoin de sérénité ?
Vu du monde réel, la période qui s’ouvre est celle de la reconquête, de la réorganisation, de l’innovation et de l’union autour de la « raison d’être ». Pour cela, il faut de la stabilité, de la solidarité mais surtout de la confiance en l’avenir.
Les volontés de réforme doivent se mesurer à l’aune de ceux qui créent et maintiennent des emplois : les entreprises. Changer le système aujourd’hui met en péril le dialogue social, l’unification autour du projet d’entreprise. Cela obère surtout les chances que les acteurs économiques et sociaux en France travaillent ensemble ! Ils y sont prêts et d’ailleurs, sur le projet retraite, les cinq organisations syndicales et le Medef sont d’accord : pas maintenant !