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Dialogue social : L’embellie due à la crise sanitaire risque de ne pas durer

Le point sur | publié le : 13.07.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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Dialogue social : L’embellie due à la crise sanitaire risque de ne pas durer

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Si la pandémie de Covid-19 a favorisé un dialogue social de meilleure qualité, la crise économique et sociale risque de refermer cette parenthèse et d’exacerber les tensions.

La crise sanitaire a eu, de l’avis de tous les acteurs concernés, directions et syndicats, un impact positif sur le dialogue social. « Quand un pays est à l’arrêt ou lorsque beaucoup d’entreprises sont à l’arrêt, cela réveille l’imagination, cela casse les lignes et les barrières, estime Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha. Le premier constat qui peut être établi, c’est que, dos au mur, les partenaires sociaux ont retrouvé le chemin du dialogue social qui était ici et là un peu perdu. » Pour autant, le nombre d’accords conclus – environ 4 000 dans les entreprises et moins d’une vingtaine dans les branches – reste très modeste. Le paradoxe n’est pourtant qu’apparent aux yeux de Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de Dialogues : « Le faible nombre d’accords de branche tient à deux éléments. C’est un lieu où le formalisme a le plus d’effet et où les postures sont les plus difficiles à modifier. Avec la crise du coronavirus, il a fallu prendre des décisions rapidement. Dans les branches où il y avait traditionnellement un dialogue social fort, ce formalisme et ce jeu des acteurs ont ralenti le processus de décision. »

La santé de nouveau prioritaire

Plutôt que d’attendre le résultat des discussions, qui tardait à venir, les sociétés ont pris les devants, passant outre les « contingences de la branche ». Une analyse que corrobore Pierre Ferracci : « Ce dialogue social a été plus fécond dans les entreprises qu’au niveau interprofessionnel. C’est assez logique quand on constate que le Medef, depuis l’arrivée à sa tête de Geoffroy Roux de Bézieux, choisit d’exclure la dimension interprofessionnelle du dialogue social, même s’il a ouvert, timidement, la porte sur la réforme de la santé au travail. »

La crise sanitaire a pourtant mis en relief l’un des points faibles des nouveaux comités sociaux et économiques (CSE). « Les CSSCT se trouvent privés de l’un des atouts essentiels du CHSCT, à savoir qu’il était un organe distinct du comité d’entreprise », rappelle Pierre Ferracci. D’où la vitalité réduite de cette instance, qu’atteste, selon les données du Groupe Alpha, la baisse du nombre de missions d’expertises demandées par les ex-CHSCT ou par les commissions centrales santé-sécurité au travail. Une situation qui tient à ce que les nouveaux secrétaires des CSE sont pour l’essentiel d’anciens secrétaires de CE. Très peu proviennent en effet des ex-CHSCT. Assez logiquement, la santé n’a que très rarement accédé au rang de priorité dans l’agenda des secrétaires de CSE, plutôt rompus aux questions d’emploi et de stratégie économique, mais bien moins familiers d’autres domaines. La pandémie a changé la donne, assure toutefois Pierre Ferracci : « La crise de la Covid a néanmoins remis les spécialistes de la santé, provenant des anciens CHSCT, sur le devant de la scène. »

Le dialogue social a su ainsi passer outre nombre de difficultés liées aux conditions sanitaires. « Les partenaires sociaux ont su dépasser le cadre des contraintes sanitaires parfois « hors sol » imposées par les pouvoirs publics pour que les entreprises puissent reprendre contact avec leurs clients et rattraper le temps perdu. Globalement, cette phase s’est plutôt bien déroulée », estime Pierre Ferracci. Autre aspect positif de cette période agitée : le consensus autour des enjeux économiques. « Les partenaires sociaux ont aussi réussi à avoir un regard partagé sur la situation économique des entreprises, assure-t-il. Il y a eu un effort de part et d’autre pour bien prendre en compte les enjeux économiques, bien gérer les questions sanitaires et les effets de l’activité partielle. » Contre toute attente, « l’effet de sidération provoqué par la crise sanitaire » a déclenché une prise de conscience des parties prenantes : « Elles ont compris qu’il fallait dialoguer pour mieux gérer les enjeux liés au confinement et à la reprise d’activité. »

Cette période a aussi été marquée par une profonde évolution des modes de fonctionnement des instances. « Il est possible d’avoir de nouvelles formes de fonctionnement des instances où se rencontrent organisations syndicales et directions et il est aussi possible d’envisager d’autres formes de négociation dans les entreprises dont les CSE sont composés majoritairement de représentants non syndiqués », estime ainsi Jean-Dominique Simonpoli. À ses yeux, dans une entreprise où un syndicat, même s’il est minoritaire, ne veut pas négocier, il n’y a pas de négociation. « En termes de conception démocratique, il y a quelque chose à revoir », estime-t-il. Dès lors, pourquoi ne pas accorder un pouvoir de négociation au CSE ? De quoi favoriser les échanges dans les entreprises où se trouvent des syndicats minoritaires qui ne souhaitent pas négocier : « Ce serait même bon pour le syndicalisme, car cela lui permettrait de montrer son utilité, voire de se renforcer. La concurrence entre élus syndiqués et non syndiqués existe déjà. Elle est plutôt positive. En Belgique se côtoient des élus syndiqués et non syndiqués. Tout dépend de la capacité des syndicats à accueillir les non-syndiqués. Sont-ils prêts à ouvrir leurs portes à des élus qui ont une conception différente de leur rôle ? Il y a un champ ouvert de réflexion et de négociation d’un certain nombre de dispositions. »

Syndicalisme de services inédit

Les organisations syndicales (OS) ont peut-être déjà commencé à saisir leur chance, estime Jean Grosset, directeur de l’Observatoire du dialogue social de la Fondation Jean-Jaurès : « Durant le confinement, les principales OS ont fait des FAQ qui ont été très consultées, que ce soit par les DS ou les élus qui étaient interrogés par leurs collègues. C’est la première fois que cela atteint un tel degré. Ce syndicalisme de services, sous cette forme, c’est du jamais vu, même si cela a pu exister par moments en direction des TPE. Cet usage des FAQ fait réfléchir les OS. »

Au final, que peut-on retenir du dialogue social pratiqué pendant la crise sanitaire ? Pour Jean-Dominique Simonpoli, il dégage « une impression contradictoire » : « D’un côté, il y a eu assez peu d’accords signés – environ 4 000 accords d’entreprise et moins d’une vingtaine d’accords de branche –, de l’autre, le dialogue social informel s’est beaucoup développé. Ce dialogue social informel n’a pas toujours respecté le formalisme légal concernant les convocations, l’envoi des documents, les délais, etc. » Cette possibilité d’un « dialogue social moins formel » restera-t-il à la crise qui s’annonce, dont tous les acteurs sociaux anticipent l’ampleur inédite ? Il est peu probable que l’union sacrée qui a parfois prévalu autour des mesures d’urgence sanitaire perdure lorsque des mesures d’ajustement des effectifs et de gestion de l’emploi vont être mises sur la table.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins