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Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Chroniques | publié le : 13.07.2020 | Jean Pralong

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Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Crédit photo Jean Pralong

Éthique et climat éthique

Quand on jongle avec l’emploi, les salaires et la mobilité, bref quand on est un RH de terrain, la question de l’éthique est un enjeu quotidien. Fier de cette posture, j’ai souvent proposé aux étudiants une mise en situation. Je leur demandais de s’imaginer en RH devant choisir quel salarié licencier parmi deux : un jeune très employable et très performant, ou un sénior, salarié depuis longtemps et aux performances moins glorieuses.

Bref, faut-il garder le jeune, garantir la performance mais mettre le sénior en danger ou garder le moins performant en supposant que le jeune aurait moins de mal à retrouver un emploi ? La réponse était pour moi évidente : c’est le sénior qui devait rester, et la question de la performance devait s’effacer devant celle de l’éthique. Et, globalement, les étudiants en arrivaient rapidement à la même conclusion. Puis, j’ai eu l’occasion de présenter ce petit exercice à des collègues américains ; il s’agissait plus d’une discussion informelle que du récit d’une extraordinaire initiative pédagogique et je leur ai présenté, sur le ton de l’évidence bien partagée, que l’éthique commandait de garder le sénior. Stupeur unanime : mes collègues furent particulièrement choqués de cette conclusion. Licencier le plus performant était une faute professionnelle ; l’éthique était, avant tout, d’appliquer le critère de performance et nul autre. À ce stade du récit, il serait simple de conclure à l’existence de différences culturelles. Vérité de ce côté de l’Atlantique, erreur de l’autre, end of the story.

Mais, justement, le récit ne s’arrête pas là. Le même jour, devant des DRH américains, j’ai à nouveau raconté mon petit exercice. Deuxième stupeur : les praticiens n’étaient pas d’accord entre eux. Pour certains, il était évident que la performance était la ligne de conduite éthique à suivre. Licencier le jeune salarié était une faute professionnelle et une discrimination. Pour d’autres, la faute éthique était évidemment de privilégier la performance à l’ancienneté. Comment expliquer ces différences ?

Comme souvent, les explications macro-culturelles sont des fausses pistes. Les explications intra-individuelles aussi. La cause est à trouver entre les deux : chaque entreprise et son top management fabriquent un climat éthique spécifique. Ce climat est fait de croyances partagées ; « la performance collective est plus importante que les cas individuels », pourrait faire partie de ces croyances pour certains de mes collègues nord-américains. Il est aussi fait de la force avec laquelle ces croyances sont mises en œuvre. Car les croyances se construisent par l’observation des comportements plutôt que par les discours. Les salariés se construisent une représentation de ce qui est éthiquement faisable en observant les pratiques de leurs collègues et de leurs dirigeants ; ils sont attentifs aux fautes non sanctionnées ou, pire, aux comportements injustes valorisés. Ils s’identifient aux dirigeants qui disent mais ne font pas. Ils intériorisent, finalement, les règles comportementales à suivre. Dans beaucoup d’entreprises, le commissionnement des forces de vente ou le versement de primes sans débat sur les moyens utilisés pour atteindre les objectifs sont des signaux forts des règles éthiques en vigueur.

Le monde économique est un champ de tensions éthiques : l’intérêt des salariés, l’intérêt des dirigeants, l’intérêt général et l’intérêt des clients sont en conflit permanent. Dans une organisation, face à un système de récompenses et de sanctions, l’éthique n’est plus une affaire de valeurs sociétales ou de morale individuelle. Ce sont les pratiques locales qui créent les règles à suivre. Et construire ces règles, plutôt que les subir, devrait être un levier d’action pour une fonction RH en quête de leadership.

Auteur

  • Jean Pralong