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Les clés

Vers un monde du travail invisible ?

Les clés | À lire | publié le : 06.07.2020 | Lydie Colders

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Vers un monde du travail invisible ?

Crédit photo Lydie Colders

Dans Les Dépossédés de l’open space, la philosophe Fanny Lederlin brosse un monde du travail de plus en plus désocialisé et « atomisé » sous l’effet du numérique, privant les salariés de leur « créativité » et renforçant leur invisibilité. Un essai sombre sur les effets du néolibéralisme et du digital.

Quel est le point commun entre les employés, les autoentrepreneurs des plateformes et les travailleurs du clic ? Tous subissent les nouvelles modalités de travail imposées par la digitalisation ou l’injonction managériale « à s’adapter », estime Fanny Lederlin, doctorante en philosophie. Dans cet essai critique, elle dresse un long réquisitoire contre ce « néotravail », contemporain du néolibéralisme. Une forme « de travail dégradé, qui menace notre rapport à la nature, aux autres, à nous-même et au monde ». De Marx à Hannah Arendt, en passant par Bernard Stiegler ou Danièle Linhart, la philosophe en sonde les manifestations qui s’infiltreraient partout, dans « nos open spaces élargis » avec le nomadisme, rendant les salariés « jetables » et invisibles, dans un monde productiviste insouciant des ressources de la planète.

Des salariés sans « qualité particulière » ?

L’auteure s’attarde longuement sur les technologies qui éclatent le travail. Avec l’essor du digital labor (chauffeurs, livreurs, travailleurs du clic « nettoyant » les réseaux sociaux), les plateformes remettent au goût du jour « le tâcheronnat » pseudo « cool », en faisant disparaître la notion d’emploi, dénonce-t-elle. « Quelle que soit l’activité ou la modalité du travail digital, c’est au fond le même genre d’expérience que vivent les travailleurs : celle d’une mission qui ne nécessite pas de compétences particulières. » Même minoritaire, ce travail à la tâche « exerce un pouvoir d’attraction tel qu’il impose une tendance aux autres formes de travail et à la société elle-même », s’inquiète la philosophe, faisant le parallèle avec l’externalisation grandissante dans les entreprises et la mise en réseau des salariés. Flex-office, sorte de « transhumance » imposée là où les salariés ont besoin d’ancrage, télétravail envahissant la vie privée, rien ne trouve grâce aux yeux de Fanny Lederlin, qui y voit une forme « d’emprise » du capitalisme moderne. Un monde où chaque travailleur serait « un usager solitaire, sans qualité particulière ». La critique, brillante synthèse philosophique et sociologique, pourra sembler excessive. Mais l’essai donne à réfléchir à préserver les collectifs de travail et la reconnaissance des salariés. L’auteure n’est guère tendre envers le dogme d’un management déshumanisé, dominé par les chiffres, ou la « novlangue » des DRH qui « déréalise » le travail.

Auteur

  • Lydie Colders