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Œuvres sociales : « Les CSE n’ont plus à s’occuper des vacances des salariés »

Le point sur | publié le : 06.07.2020 | I. L.

Des salariés de plus en plus individualistes ? De nouvelles pratiques de vacances ? Jean Viard, sociologue et directeur de recherche associé au Cevipof-CNRS, propose des pistes de réponses à la désaffection des équipements touristiques appartenant aux CSE.

Pourquoi les vacances au sein d’équipements collectifs détenus par les IRP sont-elles délaissées par les salariés ?

À l’époque où ont été créés ces équipements, après-guerre, les salariés vivaient « pour » l’entreprise. On habitait alors à côté de son lieu de travail. Les amis étaient ceux que l’on retrouvait au travail ou à l’église pour ceux qui s’y rendaient. Les départs en vacances se faisaient avec les collègues. On vivait dans une société profondément collective. Avant, le salarié se définissait par son entreprise : « Moi, je suis un Renault », « Je suis un EDF ». On déplaçait des groupes. Bien souvent, ces déplacements avaient lieu dans des mairies communistes. Cela relevait du militantisme. Il y avait un côté « encadrement ». C’était la culture de la récompense, les vacances étaient un cadeau. Aujourd’hui, les congés représentent un droit et non une récompense.

Y a-t-il d’autres facteurs d’explication ?

Aujourd’hui, il n’est pas rare que des salariés fassent 50 kilomètres pour se rendre sur leur lieu de travail. Les copines de bureau ne sont plus celles avec lesquelles on va boire un verre. On ne vit plus avec nos collègues. N’oublions pas que le travail n’occupe de nos jours que 10 % à 12 % du temps d’une vie, là où il comptait pour 40 % en 1936.

De plus, on change plus fréquemment d’emploi. Une autre évolution s’est instaurée au niveau du couple : les deux travaillent. Le double salariat a modifié les liens. Avec quels collègues partir, les siens ou ceux du conjoint ?

Bien souvent, les amitiés d’aujourd’hui remontent au collège. C’est à ce moment-là que l’on se crée son groupe d’amis. Et comme la moitié des gens vivent dans le département où ils sont nés, ils conservent ces amitiés. Désormais, ces dernières priment sur les collègues. Nous sommes devenus plus sélectifs sur nos amitiés voire « pluriels ».

En outre, notons que le cœur de la tribu, c’est la famille. 70 % des gens partent en famille. Bien souvent, trois générations partent ensemble, notamment parce que ce sont les grands-parents qui financent les vacances. Prenez l’exemple de certains vieux Lillois qui sont originaires de Narbonne. Leurs enfants passent leurs congés à Narbonne, là même où ils se rendaient, jeunes, pendant les grandes vacances.

Pour toutes ces raisons, les équipements collectifs détenus par les CSE sont devenus dépassés.

Notre société est-elle devenue plus individualiste ?

Oui, tout à fait. Les liens sociaux se sont distendus. À une société plus individualiste, il faut ajouter une demande de liberté de choix. C’est pour cela que les salariés préfèrent qu’on leur « donne » des chèques vacances. Ils en feront ce qu’ils voudront et partiront où bon leur semble.

De plus, il faut bien prendre conscience que seuls 60 % des Français partent en vacances. La population de l’Hexagone a migré vers les littoraux. En Provence, il y a aujourd’hui plus de 5 millions d’habitants contre 2 millions après-guerre. Ils ont la possibilité d’aller tous les jours en bord de mer. On peut les imaginer dîner d’une pizza après la plage et retourner chez eux, dans des maisons de plus en plus confortables. Les pratiques de vacances sont rentrées dans les mœurs.

Prenez un autre exemple : celui de Paris Plage, l’opération estivale menée sur les berges de la Seine depuis 2002. Quatre millions de personnes y vont. Pour la moitié d’entre elles, ce sont leurs seules vacances. Mais attention, ce n’est pas un échec : ce sont des vacances urbaines.

Avec la désaffection des salariés pour les vacances au sein d’équipements collectifs, les CSE auraient-ils intérêt à préempter d’autres sujets ?

Effectivement, les CSE ont été créés pour faire partir en vacances les salariés. Aujourd’hui, ce n’est plus la peine de s’en occuper. Par conséquent, ils pourraient se préoccuper d’autres sujets plutôt que celui des loisirs. D’autres batailles sont à mener comme celles du racisme, de la culture. Il y a des enjeux auxquels on peut réfléchir. Les CSE pourraient proposer des savoirs, comme celui de la cuisine. Le confinement nous a appris que nous ne savions plus cuisiner. Or, améliorer la qualité de vie n’est pas forcément avoir un plus gros salaire, mais choisir des aliments plus sains, par exemple.

Auteur

  • I. L.