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Le fait de la semaine

Emploi : La lutte contre le travail détaché passe par… l’Allemagne

Le fait de la semaine | publié le : 06.07.2020 | Benjamin d’Alguerre

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Emploi : La lutte contre le travail détaché passe par… l’Allemagne

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Pour préserver l’emploi en période de crise économique, Emmanuel Macron a choisi de consacrer un volet de son « plan de relance de l’emploi » à la limitation du travail détaché. Outre les mesures restrictives franco-françaises, le projet de révision de la coordination des régimes de sécurité sociale des États membres de l’Union européenne que porte la nouvelle présidence allemande du Conseil de l’Europe pourrait l’y aider.

Poussée du chômage oblige, le travail détaché est dans le collimateur du gouvernement. Alors que les prévisions font redouter la destruction de quelque 800 000 à un million d’emplois (les plus pessimistes évoquent le chiffre de 2 millions) du fait de la crise du coronavirus, l’exécutif étudie toutes les pistes pour limiter le recours par les employeurs français à des travailleurs étrangers afin de privilégier l’emploi hexagonal. « Nous croyons à la libre circulation des travailleurs, mais il faut veiller à mieux la réguler » a lancé Muriel Pénicaud sur Europe 1 le 25 juin. Son cabinet recevait d’ailleurs les partenaires sociaux la semaine dernière pour les sonder à ce sujet en amont des futurs arbitrages du « grand plan de relance de l’emploi ».

Mais cette volonté de régulation ne date pas de la crise du coronavirus. En août 2017 déjà, tout juste élu, Emmanuel Macron était parvenu à convaincre ses homologues des pays de l’Est de la nécessité d’un durcissement des règles sur le travail détaché en dépit des réticences polonaises et roumaines. Ce travail de sape du président français s’était traduit, en octobre 2017, par la révision de la directive « détachement » de 1996 par le Parlement européen. Le nouveau texte, qui doit entrer en vigueur le 30 juillet 2020, prévoit l’alignement des rémunérations (hors primes) des travailleurs étrangers détachés en France sur celles de leurs homologues français et limite le temps de leur mission à un an. Si les syndicats et une partie du patronat voient un progrès dans cette révision, la directive n’en reste pas moins incomplète à leurs yeux. Car si sa nouvelle rédaction prévoit bien l’harmonisation salariale, elle ne dit rien concernant la remise à niveau des systèmes de protection sociale entre pays européens. Elle ne lutte donc qu’imparfaitement contre le dumping social induit par l’écart de cotisations. Un sujet inquiète particulièrement : celui de ces entreprises « boîtes aux lettres » qui fleurissent dans les pays de l’Est. Autrement dit, des sociétés n’ayant aucune activité réelle dans le pays d’origine, mais dont l’existence légale permet de fournir des contrats de travail à des travailleurs en détachement sans pour autant cotiser aux caisses de protection sociale locales. Des coquilles vides prisées par des employeurs peu scrupuleux, notamment dans l’agro-alimentaire et le BTP.

Harmonisation du coût du travail

« Emmanuel Macron est en train de se battre à Bruxelles pour harmoniser le coût du travail », a assuré la ministre du Travail le 25 juin. Et dans cette bagarre, le gouvernement français peut recevoir un coup de pouce grâce à l’agenda européen. Le 1er juillet, l’Allemagne a pris la présidence du Conseil de l’Europe et l’harmonisation de la protection sociale européenne fait partie des dossiers qu’Angela Merkel souhaite finaliser au cours des six prochains mois. « La révision de la coordination de sécurité sociale est en ce moment discutée à Bruxelles entre le Parlement, le Conseil et la Commission. L’urgence, c’est de clarifier la nature de la protection sociale des salariés en détachement. En tant que syndicat, on doit inciter la France à pousser la présidence allemande à aller vers l’harmonisation », explique Yvan Ricordeau, en charge des dossiers européens à la CFDT.

Selon nos informations, le plan Macron-Merkel de lutte contre les abus du travail détaché serait déjà dans les tuyaux : il pourrait prendre la forme d’une obligation, pour toute entreprise ayant la velléité d’envoyer des travailleurs à l’étranger sous le statut détaché d’avoir déjà cotisé au moins trois mois à son régime de sécurité sociale local avant de pouvoir être éligible à l’autorisation de détachement. Charge, dit-on, à la nouvelle Agence européenne du travail (AET) de jouer les vigies de cette mesure. À la CPME, qui avait soutenu ce principe d’un alignement du coût du travail, on se réjouit plutôt de ces annonces antidumping social. Aux yeux de la confédération des PME, le travail détaché n’est pas la panacée : « Il répondait surtout à des problématiques d’absence de compétences, mais aujourd’hui que le paquet a été mis sur les dispositifs de formation – PIC, CPF, mobilisation du FNE-Formation pendant l’activité partielle… –, l’idéal serait prioritairement de former des salariés dont l’emploi est menacé en France », indique Eric Chevée, vice-président de la commission des affaires sociales de l’organisation patronale. Au Medef, silence radio. « Nous attendons les annonces présidentielles pour nous prononcer », fait savoir l’avenue Bosquet.

Risque de préférence nationale

Selon les chiffres du ministère du Travail, la France aurait accueilli, en 2018, près de 250 000 travailleurs détachés et enregistré près de 600 000 contrats de travail, la plupart de ces travailleurs ayant connu plusieurs détachements. Et en période de chômage aggravé, ce sont autant d’emplois qui manqueraient… Dans ces circonstances, l’exécutif pourrait muscler son arsenal visant à limiter le détachement. Rue de Grenelle, on réfléchit à interdire le recours au travail détaché aux entreprises bénéficiant d’aides publiques, mais aussi à celles profitant de l’activité partielle ou même aux entreprises publiques. Des mesures radicales qui font craindre aux syndicats de voir s’instaurer une forme de « préférence nationale qui constituerait une porte ouverte aux idées nauséabondes », estime Angeline Barth, secrétaire nationale CGT. « Il ne faut pas oublier que le travail détaché fonctionne dans les deux sens : il existe des travailleurs français envoyés à l’étranger », ajoute-t-elle. Pour FO, le travail détaché relève « du faux débat ». « 250 000 travailleurs détachés sur 18 millions d’actifs, ce n’est pas grand-chose », calcule Marjorie Alexandre, secrétaire confédérale. Davantage que la question du travail détaché, c’est celle de la revalorisation des salaires dans ces emplois qui ne trouvent pas preneurs faute d’attractivité qu’il faut s’atteler à résoudre, juge la Centrale de l’avenue du Maine. Emmanuel Macron devrait présenter son plan de relance de l’emploi « avant le 14 juillet ». Les restrictions au travail détaché y figureront sans doute en bonne place.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre