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Le grand entretien

« Les entreprises doivent réinventer leurs modes de management »

Le grand entretien | publié le : 29.06.2020 | Frédéric Brillet

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« Les entreprises doivent réinventer leurs modes de management »

Crédit photo Frédéric Brillet

Christine Dimajo-Donati en appelle à passer de la culture du chef à un leadership porteur de sens. Dans cette perspective, la transformation managériale, rendue encore plus nécessaire par la crise du Covid-19, constitue un levier pour le développement des entreprises vers une éthique fondée sur l’intelligence et la responsabilité des collectifs.

Pourquoi le modèle managérial prévalant aujourd’hui dans les entreprises est-il à bout de souffle ?

Plusieurs enquêtes le montrent. Une étude de Cadremploi estime qu’un cadre sur deux est victime d’épuisement professionnel. Dans son baromètre 2018 « Climat social et qualité de vie au travail », Cegos évaluait également aux deux tiers le pourcentage des managers qui vivent un stress régulier. Même si ce phénomène ne touche pas tous les managers, cette souffrance grandissante est suffisamment inquiétante pour que l’on s’interroge sur la capacité actuelle des entreprises à protéger l’humain au travail, ou leur propension à le mettre en danger.

Pourquoi ce modèle managérial traditionnel ne fonctionne-t-il plus ?

Parce que les questions de sens et d’éthique deviennent pressantes et que le modèle traditionnel focalisé sur le management par objectif et la performance économique s’en est éloigné. La course effrénée à la performance a éloigné les entreprises de questions essentielles : pour quel futur désirable travaillons-nous ? À quels types de production voulons-nous contribuer ? À quelle humanité voulons-nous appartenir ? Les modèles actuels ne satisfont ni la quête de sens, ni le besoin de liens bienveillants et empathiques, ni la nécessité d’appartenir à une communauté qui partage les mêmes valeurs, les mêmes aspirations. Il peine à reconnaître le salarié pour ses compétences, ses qualités, ses succès, son droit à proposer, innover, participer aux décisions…

N’est-ce pas trop en demander aux entreprises et à leurs dirigeants ?

Entreprendre signifie étymologiquement « exercer une influence sur son environnement ». Reste à savoir comment le faire : les entreprises ne peuvent plus répondre à notre besoin de sécurité et de stabilité dans l’environnement incertain qui caractérise l’économie contemporaine. Elles peuvent tout au moins créer un climat de sécurité émotionnelle et relationnelle. Certaines d’entre elles s’y emploient déjà : entreprises libérées, humanistes ou « à mission », elles confirment que faire du profit pour réinvestir reste nécessaire, mais pas suffisant. Elles s’engagent à transformer la société dans une vision citoyenne et responsable de leur territoire, voire de la planète, avec des managers qui élèvent leur fonction au niveau de leur contribution sociétale. Même si les pressions arrivent de toute part, les dirigeants ont une responsabilité sociétale. Ils peuvent, s’ils le décident, apporter une réponse économique, écologique et anthropologique innovante en réinventant leurs modes de production autour de l’humain et de sa protection.

La « culture du chef » a pourtant évolué au fil des ans…

Nous sommes en effet passés du « patron » ou « boss » qui possédait l’entreprise au « chef » détenteur de l’autorité et du savoir, puis au « manager » chargé de piloter la logistique et les moyens de production, collaborateurs inclus. Les styles de management ont suivi la course des changements d’organisation, de générations et de modes. Mais le pouvoir n’a pas changé de mains. Le job s’est seulement équilibré : le manager d’aujourd’hui a une jambe bien campée sur la tâche, les activités et les résultats attendus. L’autre sur les personnes et le relationnel. Mais le pouvoir reste de toute façon entre les mains de quelques-uns. Et la fonction est de plus en plus lourde à porter. En demandant à un petit nombre de personnes d’en faire toujours plus, sans déléguer les pouvoirs de décision à un plus grand nombre de collaborateurs, dans un environnement de plus en plus complexe, le modèle s’est asphyxié.

Vous dénoncez également les clichés obsolètes qui pénalisent les entreprises…

Dans mon métier de consultante, je glane un bon nombre de clichés qui non seulement véhiculent une vision déprimante de l’humain mais nous enferment dans une perception erronée des besoins fondamentaux des individus. La psychologie positive et les neurosciences confirment aujourd’hui que plus le monde qui nous entoure est dur, inattendu, imprévisible – et ce que nous vivons avec le coronavirus nous le prouve –, plus nous avons besoin entre nous de bienveillance, d’actes de solidarité et d’entraide, de retour vers notre essentiel.

L’instauration d’un nouveau modèle passe, selon vous, par la libération des managers. Qu’entendez-vous par là ?

Les managers sont appelés à réinventer leur rôle. Les collaborateurs attendent d’eux qu’ils soient pourvoyeurs de sens plutôt que de simples donneurs d’ordres, faiseurs de liens et pas arbitres de services, facilitateurs de travail en réseau et pas chefs de silo. Mais travailler en intelligence collective ne s’improvise pas. Les managers vont avoir besoin d’être accompagnés dans cette transformation, notamment dans leur développement personnel qui, jusqu’à présent, ne faisait pas partie des compétences attendues. Beaucoup d’entre eux sont devenus managers parce qu’ils étaient de bons techniciens ou d’excellents experts. Or, accompagner, soutenir, faciliter le travail d’un collectif demande une bonne connaissance de soi, de son impact sur les autres, de ses qualités d’observation, d’écoute, de compréhension, d’empathie… un lot de compétences en relations humaines et en communication qui n’étaient pas ou peu requises dans la culture du chef. Elles sont incontournables dans le leadership actuel et elles portent un nom, les soft skills (compétences douces).

Ces managers libérés sont-ils plus en phase avec la nouvelle génération ?

La génération née dans les années 2000 qui arrive dans nos entreprises a été « biberonnée » au web 2.0. Elle vit connectée en permanence à cette immense plateforme de données résolument participative et interactive. Ce système vit et se développe sans « chef » du web. Chacun est appelé à prendre ses responsabilités sur ce qu’il diffuse et consomme. Cette philosophie collaborative s’impose dans cette génération comme un véritable modèle qu’elle entend transposer dans sa vie professionnelle.

Quel rapport s’établit entre ces managers libérés et le modèle de l’entreprise libérée ?

Le manager libéré est un ingrédient utile et nécessaire à l’entreprise libérée. Mais une entreprise peut très bien dans un premier temps décider de libérer son management et, petit à petit, transformer son organisation, ses modes de recrutement, de gouvernance. Entre le tout ou rien, la règle des petits pas, en douceur, est de mise. Il est utile d’apprendre de ses succès passés et actuels pour ne pas seulement se focaliser sur les problèmes à résoudre, puis prendre le temps d’échanger pour construire ensemble un futur désirable où chacun trouve sa juste place. Et le combat pour remotiver les salariés est gagné sans même avoir été mené !

En quoi la libération des managers favorise-t-elle l’intelligence des collectifs ?

J’aime cette phrase de Linda Hill, spécialiste des nouveaux modèles de leadership qui dit : « En tant que leader, votre rôle n’est pas de monter sur scène, mais de monter la scène ». Diriger aujourd’hui, c’est servir. C’est un changement de paradigme total qu’il est nécessaire d’intégrer pour permettre la véritable expression des collectifs. Nous devons passer d’un modèle de « manager sachant » à un leadership serviteur, avec un ego mis au service du « nous » et pas du « je », pour faciliter une organisation collective intelligente et apprenante dans laquelle les règles de savoir-être sont aussi importantes celles des savoir-faire.

Parcours

Coach et consultante spécialisée en innovation managériale, Christine Dimajo-Donati accompagne les dirigeants et les managers dans l’évolution de leur posture et de leurs organisations en déployant la méthode LIB.RES qu’elle a créée. S’inscrivant dans le courant des entreprises humanistes, elle est coauteure de la méthode Devenez un parent coach et Quand tout devient enfin facile avec nos enfants et vient de publier Management à bout de souffle, aux éditions Diateino.

Auteur

  • Frédéric Brillet