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Le grand entretien

« La confiance manque entre commanditaires publics et organismes de formation »

Le grand entretien | publié le : 22.06.2020 | Frédéric Brillet

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« La confiance manque entre commanditaires publics et organismes de formation »

Crédit photo Frédéric Brillet

Spécialiste de la formation permanente, Paul Santelmann a récemment piloté un dossier intitulé « L’introuvable qualité en formation » dans la revue académique Éducation permanente dont il est membre du comité de rédaction. Il revient sur ce thème à la lueur de la crise du Covid-19.

Quelle est votre réaction à la relance de l’apprentissage ?

Ces mesures qui visent à compenser les effets négatifs de la pandémie vont se heurter au scénario de recentralisation et de libéralisation de ce dispositif décidé par le gouvernement. Mais on ne régule pas au niveau national un système qui accueille 500 000 jeunes. L’apprentissage, c’est une mosaïque de situations locales qui nécessite des réponses adaptées en fonction des secteurs, des tailles d’entreprise, des métiers et des capacités d’encadrement des CFA dont certains viennent de se créer. Il faut à la fois aider certaines entreprises, se soucier des jeunes les plus en difficulté et garantir aux CFA une souplesse d’accueil des apprentis n’ayant pas trouvé d’entreprise. Pour cela, il est nécessaire d’avoir des marges de manœuvre et d’initiative au niveau régional, ce qui risque de faire défaut.

Quelles conséquences a eues le coronavirus sur le monde du travail et la formation ?

Cette pandémie a révélé les capacités d’engagement, d’initiative et d’adaptation de nombreux salariés considérés souvent comme peu qualifiés. Elle a stimulé les micro-innovations techniques et organisationnelles dans les entreprises et services publics, qui sont aussi le fruit de l’inventivité d’employeurs ou de salariés. Ces compétences transversales (soft skills) associées à des compétences techniques sont le moteur de pratiques professionnelles efficaces. Il y aura donc un effet plutôt durable lié à ces deux situations. Les effets négatifs sont plutôt du côté des dispositifs de formation destinés aux demandeurs d’emploi ou aux jeunes en insertion.

Justement, quel impact la pandémie peut-elle avoir sur les contrats d’apprentissage et de professionnalisation ?

La crise de l’emploi provoquée par cette pandémie va diminuer les possibilités d’accueil des apprentis et alternants en entreprise. Il faudra donc que les CFA revoient leurs programmes pour les prendre davantage en charge. Mais tout dépend des secteurs : les personnes qui se forment aux métiers du tourisme subissent davantage le choc que celles qui se destinent aux métiers du commerce alimentaire. Par ailleurs, la pandémie frappe l’apprentissage au moment où celui-ci fait l’objet d’une libéralisation, qui facilite les ouvertures de CFA pour augmenter le nombre d’apprentis. Cette double conjonction crée un climat d’incertitude. Il faudra attendre la rentrée de septembre pour y voir plus clair.

Comment l’offre de formation se trouve-t-elle affectée ?

On entend dire que les formations à distance qui bénéficient de la pandémie, vont prouver leur efficacité et transformer durablement la manière de travailler et de se former. Cela me paraît simpliste : il faut d’abord se défier de ces formations « hors-sol » qui ignorent le contexte de travail. Ensuite il ne suffit pas de former au télétravail ou au management à distance pour que cela fonctionne, c’est toute l’organisation du travail qui doit être revue. Et, à bien y regarder, l’usage du numérique au travail et en formation se développe surtout dans les entreprises apprenantes qui ont repris en main ce volet, ont réinternalisé la formation et sont capables de faire du sur-mesure pour leurs collaborateurs. Ce n’est pas le cas de tous les employeurs.

Vous avez récemment piloté un dossier intitulé « L’introuvable qualité en formation ». Qu’en ressort-il ?

Ce dossier questionne le choix d’une normalisation centrée sur les seuls prestataires de formation. D’abord, il faut clairement distinguer entre la qualité des formations destinées aux salariés, financées par les entreprises, et celles destinées aux publics prioritaires des politiques publiques – demandeurs d’emploi, jeunes en insertion, reconversion et évolution professionnelle des moins qualifiés, etc. Dans le premier cas, les entreprises sont responsables de leur investissement et doivent se donner les moyens d’évaluer la valeur ajoutée de ce qu’elles financent.

Et qu’en est-il pour les formations destinées aux publics prioritaires ?

Dans ce second cas, c’est toute la chaîne fonctionnelle des dispositifs concourant au développement de formations « qualifiantes » destinées aux personnes – pilotage territorialisé de l’offre de formation, accueil, information, orientation, ingénierie, méthodes et modalités pédagogiques, modes d’évaluation, certification, modalités de financement, etc. – qui est en jeu. Le concept de qualité n’a alors de sens qu’appliqué à un processus multifonctionnel. C’est l’ensemble de ce processus qui doit être apprécié au regard d’indicateurs qualité et non les seuls prestataires de formation, ceci afin de garantir aux personnes les moins armées socialement un usage approprié des enseignements qu’ils reçoivent.

Que va changer le référentiel national de certification qualité qui entrera en vigueur en 2022 ?

Ce référentiel succède à de nombreuses initiatives publiques visant à imposer aux organismes de formation des procédures de qualité de type Afnor ou ISO. Ces injonctions n’empêchent pas ces prestataires d’être performants. Mais elles témoignent d’un goût immodéré pour les prescriptions à l’égard d’opérateurs supposés disposer d’une large capacité d’adaptation et d’innovation au regard des transformations du travail et des caractéristiques des apprenants. Elles témoignent aussi d’un manque de confiance entre commanditaires publics et prestataires. D’où une propension des premiers à imposer des cahiers des charges extrêmement détaillés qui standardisent les réponses, dévitalisent les prestataires et minorent les pratiques de suivi-évaluation. Finalement, les organismes de formation disposent de faibles marges de manœuvre face à ces commanditaires qui leur imposent des contraintes plus paralysantes que stimulantes. En outre, la logique concurrentielle du moins-disant dans la commande publique tend à tirer les prix et la qualité vers le bas. La formation permanente est depuis longtemps prisonnière de ce cercle vicieux qui mine sa crédibilité. Cette situation tient à une surestimation, largement partagée, de la formation initiale et des diplômes au détriment des processus de développement des savoirs tout au long de la vie, que ce soient les acquis de l’expérience ou les formations qualifiantes d’adultes. Les organismes certificateurs habilités par l’État n’ont ni la légitimité, ni les moyens de remédier à ce tropisme franco-français.

Que faudrait-il faire pour remettre la qualité au cœur de la formation permanente ?

Qui paie commande… et évalue. Pour rétablir l’efficacité, il faut reconstruire la confiance. Et pour rebâtir la confiance, il faut ouvrir la « boîte noire » des prestataires qui mettent en œuvre des formations suffisamment longues en durée pour favoriser un suivi et une évaluation des pratiques de la part des commanditaires. Ces derniers ont la main sur des objectifs concernant les futurs apprenants : ils doivent donc disposer des moyens de diagnostic d’acquis, de besoins et d’objectifs en matière de développement de compétences. Ces objectifs doivent s’imposer aux prestataires de formation qui en retour pourraient disposer d’une liberté de réponse sur le plan des contenus, de la pédagogie et des prix. Mais cette liberté suppose, en contrepartie, un suivi et une évaluation des pratiques de formation de la part du financeur (tiers payant) en lien avec les apprenants (les vrais clients).

Parcours

Consultant et expert en ingénierie des compétences, Paul Santelmann est chargé d’enseignement au Cnam, à Paris 1 et à Paris 10. À ces différents titres, il a rédigé et participé à une quinzaine d’ouvrages et une centaine d’articles sur les questions de formation et d’emploi dans une vingtaine de revues. Il a auparavant travaillé comme directeur de la veille « emploi et qualifications » à l’Afpa jusqu’en 2019, et comme chef de mission à la Délégation à la formation professionnelle de 1993 à 1997

Auteur

  • Frédéric Brillet