Benoît Serre Partner au BCG, vice-président délégué de l’ANDRH
Depuis le 2 juin et malgré les contraintes, la vie reprend son cours normal. Chacun retrouve ses habitudes et se projette dans les congés d’été, les informations commencent à évoquer d’autres sujets et tout ce qui a pu nous manquer retrouve son accessibilité. La vie d’avant réapparaît alors que s’estompent les débats sur le monde d’après. On s’interroge bien un peu sur le renouveau de la consommation, les élections municipales, les plans sociaux et les déclarations péremptoires d’une relance économique par la croissance et le travail. Est-ce déjà la fin du monde d’après ?
Les enquêtes montrent pourtant que les salariés n’ont rien abdiqué de leurs attentes, que certains ne veulent pas revenir sur site quand d’autres le souhaitent, que le télétravail doit être étendu, le travail réduit ou augmenté et le management revisité. Les tendances déjà présentes avant la crise accélèrent, mais se transformeront-elles en réalité ?
Des appels à la mise en place d’un accord national interprofessionnel négocié se font entendre pour encadrer strictement cette envie de changer et de faire de la confiance et de la liberté individuelle les moteurs de l’engagement et du management. Cet exemple est révélateur d’un risque : celui de concevoir le monde d’après avec les règles d’avant. C’est bien l’ensemble du rapport au travail qu’il faut reconsidérer et ne pas faire de ces évolutions attendues une couche supplémentaire à ce qui existe déjà.
La remise en cause des positions acquises est en effet bien plus complexe que celle des droits. Certains métiers ne pourront y accéder. On ne peut pourtant imaginer de repenser le travail en laissant sur le bord du chemin une partie des métiers parce que leur définition et leur exercice sont stables. Ce serait déséquilibrer socialement l’entreprise et faire réapparaître une nouvelle forme de « cols blancs et de cols bleus ».
Dès lors, il faut agir vite, prendre de vitesse les habitudes et les lourdeurs en s’attaquant plus aux positions immuables qu’aux droits acquis. Il faut réformer de manière globale et nous savons le faire. Lors du confinement, les entreprises ont démontré une agilité inattendue en quelques jours sous la contrainte. Elles doivent aujourd’hui démontrer leur capacité à le faire par la volonté. Pour cela, l’association des parties prenantes est indispensable.
La manière dont sera socialement gérée la crise constitue le premier acte du monde d’après et recourir aux méthodes d’avant signera son échec. Il faut construire des accords majoritaires sur un plan technique, mais surtout associer les salariés, unifier l’entreprise face à ses défis, responsabiliser chacun sur son rôle dans cette phase. Les décisions d’en haut ne seront plus acceptables sans que chaque salarié n’ait pu y prendre part d’une manière ou d’une autre. Les récentes réformes nous en donnent les moyens avec les accords de performance collective et les ruptures conventionnelles collectives pour adapter les moyens de production. Mais la loi Pacte nous en donne le sens par une plus forte association des salariés au devenir et au succès de leur entreprise.
par le renforcement des accords de participation et d’intéressements, la généralisation de l’actionnariat salarié. C’est sur cette promesse que les salariés s’engageront, mais comme tout « investisseur », ils voudront légitimement être associés aux choix. Là est le défi du management de demain et cela fait appel à d’autres qualités que celles de contrôler, organiser et évaluer. Pour créer la confiance dans l’avenir de l’entreprise, il faut au préalable créer la confiance avec les salariés, faire le pari de l’intelligence collective si bien démontrée au cours des trois derniers mois. C’est comme cela que nous ne raterons pas le rendez-vous du monde d’après, car sa réalité repose d’abord sur ceux qui le feront vivre : les hommes et les femmes de l’entreprise… la moindre des choses est qu’ils le définissent.