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Enquête sur l’iniquité des primes

Les clés | À lire | publié le : 25.05.2020 | Lydie Colders

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Enquête sur l’iniquité des primes

Crédit photo Lydie Colders

Dans Le Nouvel Esprit du salariat, la sociologue Sophie Bernard sonde le revers des primes qui « fragilisent » la condition des salariés en CDI. Au travers d’une enquête menée dans deux entreprises, son livre montre un système créant de « profondes injustices » au nom de l’engagement. Très instructif pour les DRH.

Voici un livre important, en cette période de crise sanitaire qui creuse les inégalités sociales. Alors que quelque 88 % des salariés sont en CDI, « l’individualisation des rémunérations conduit à la déstabilisation au cœur même du salariat », estime Sophie Bernard, professeur de sociologie à Paris-Dauphine. Primes sur objectifs, intéressement, cet arsenal incarne selon elle « une idéologie patronale et des valeurs individualistes et méritocratiques qui irriguent l’ensemble de la société ». Mais cette incitation à récompenser les efforts est-elle réellement si motivante et surtout équitable ?

L’envers de l’épargne salariale

Au travers de cette enquête fouillée réalisée dans la grande distribution et la banque, la chercheuse dévoile un système qui crée de nombreuses injustices chez les salariés. Surtout lorsque la conjoncture se retourne…

La première étude, réalisée dans un hypermarché, est édifiante sur les revers des politiques d’intéressement et d’actionnariat salarié. Au travers de nombreux entretiens (caissières, DRH ou syndicalistes), la sociologue montre que cette politique ancienne de l’enseigne a certes mené les employés « aux salaires collés au plancher du smic » à se « percevoir comme associés aux résultats » et à s’investir sans compter. Problème : depuis le déclin de la grande distribution en 2018, la chute de la participation « ne permet plus de compenser les faibles salaires » des employées à temps partiel. D’où une précarité inquiétante pour elles, alors que les cadres mieux payés sont moins touchés « par cette perte de bonus ». Inégalités selon le niveau de poste, démotivation, « en période de crise, le partage des bénéfices ne serait plus qu’un moyen de reporter les risques sur les salariés » qui prennent alors conscience de la faiblesse de leurs rémunérations, assène Sophie Bernard.

Autre critique : les primes sur objectifs. Si, sur le principe, les salariés « ne sont pas opposés à l’individualisation des rémunérations pour récompenser leurs efforts », l’auteure souligne que cette « méritocratie » se dilue, à l’aide d’une étude menée dans une banque. Un chapitre passionnant, très documenté.

Effet pervers des primes

La sociologue pointe une politique RH devenue ultra-complexe, le calcul des primes étant de moins en moins lié aux résultats, au profit de critères qualitatifs comme la « création de valeur » d’une agence. Croisant les points de vue de la DRH, d’employés et de managers, on y voit l’impossibilité pour ces derniers d’évaluer ces primes « de comportement ». Et lorsque cette banque a restreint ces enveloppes pour éviter trop d’écarts, l’objectif est raté, souligne Sophie Bernard : les cadres cherchent alors « le moins d’injustice possible, en saupoudrant les primes pour éviter les conflits. Un excellent décryptage, qui donne à réfléchir aux politiques salariales

Auteur

  • Lydie Colders