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Le grand entretien

« Il faut faire confianceaux acteurs sociaux »

Le grand entretien | publié le : 25.05.2020 | Laurence Estival

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« Il faut faire confianceaux acteurs sociaux »

Crédit photo Laurence Estival

Pour Jean-Dominique Simonpoli, spécialiste du dialogue social, la crise n’a pas empêché ce dernier de se dérouler – presque – sans encombre. Du moins au niveau de l’entreprise, contrairement au niveau national où les faiblesses mises en lumière pendant la pandémie interrogent et nécessitent de trouver de nouveaux ressorts.

Comment s’est comporté le dialogue social pendant la crise ?

Nous avons plusieurs indicateurs qui montrent que le dialogue social a plutôt bien fonctionné. Du moins au niveau local, dans l’entreprise. Les partenaires sociaux se sont rapidement organisés avec beaucoup de souplesse, en repensant les règles, car il y avait urgence : comment organiser le télétravail ? Comment accueillir ceux qui devaient continuer à venir sur place ? Il s’est créé une véritable dynamique. Le contraste est frappant entre cette dynamique locale et ce qu’il s’est passé au niveau institutionnel. Mis à part une poignée d’accords, les branches ont été absentes. Au niveau des grandes confédérations, il n’y a pas eu, contrairement à d’autres pays, d’expressions communes alors qu’on aurait pu s’attendre à ce qu’elles se mettent d’accord sur quelques grands principes en matière de santé ou de sécurité. C’est d’autant plus étrange que les pouvoirs publics ont eux aussi été réactifs…

Comment expliquer ce phénomène ?

Cette situation contrastée s’explique par l’urgence. C’est au niveau local que les partenaires sociaux ont recherché les réponses par rapport à des situations spécifiques. Y compris parfois en adoptant des solutions un peu « borderline ». Dans la plupart des cas, les questions à régler n’étaient pas des questions idéologiques mais pratiques et tout le monde s’est mobilisé. Ce qui n’est pas le cas au niveau national. Mais au-delà, cette évolution entre le dynamisme du dialogue social dans l’entreprise d’un côté et le manque de réactivité des grandes centrales était déjà en germe avant la crise. Et je pense que ce mouvement va laisser des traces durables.

Pensez-vous qu’un même consensus sera possible quand il va falloir discuter dans les entreprises des restructurations et des licenciements ?

Déjà, le dialogue social au niveau local a plutôt bien fonctionné pour préparer le déconfinement. Par contre, le risque est de voir les discussions entre les partenaires sociaux se gripper quand il va falloir discuter de sujets beaucoup moins consensuels que la santé et la sécurité… Il faut faire confiance à l’intelligence des acteurs qui ont su trouver des réponses appropriées jusqu’ici pour faire preuve d’imagination afin d’éviter les licenciements. Il y a bien sûr les dispositifs existants – reclassement, accords de performance collective… –, le recours à la formation mais aussi des solutions à inventer. Je pense notamment à la possibilité d’organiser la mobilité des salariés à l’intérieur d’un même groupe ou à l’intérieur d’un même territoire.

Certains juristes mettent en garde contre les risques que les dispositions prises en matière de droit du travail ou concernant le fonctionnement des CSE pendant la crise ne deviennent pérennes et nuisent à terme au dialogue social…

Ces craintes sont légitimes mais il ne faut pas non plus les surévaluer. Une fois que la crise sanitaire sera derrière nous, il faut que les libertés et les prérogatives des CSE soient retrouvées. Mais ils auraient tort aussi de ne pas tirer des leçons pour l’avenir de tout ce qu’ils ont inventé et qui a bien fonctionné. Des questions nouvelles sont aussi apparues, surtout dans les entreprises où il n’y avait pas de représentants du personnel syndiqués dans les CSE ou quand les élus non syndiqués étaient majoritaires. Quelles sont leurs capacités à négocier ? Et comment peuvent-ils trouver leur place dans les négociations dans les entreprises où des élus syndiqués sont également présents dans les CSE ? Aujourd’hui, ce sont toujours les élus syndiqués, même s’ils sont minoritaires, qui mènent les discussions. Il faudra, quelle que soit la réponse à cette dernière question, renforcer leur formation pour les aider à acquérir une expertise.

Comment concilier cette nécessité avec l’amendement voté par l’Assemblée nationale qui permet le transfert jusqu’à 50 % des sommes prévues au titre des attributions économiques et professionnelles vers les attributions sociales et culturelles ?

Cette mesure risque en effet de les priver de leur droit de demander des expertises sur des sujets précis… Mais il s’agit d’une mesure d’exception et elle doit rester temporaire. Les partenaires sociaux devront être vigilants. Reste que la crise a montré que les CSE, dont c’était le baptême du feu, pouvaient s’organiser et faire preuve d’efficacité. Même si les réunions ont eu lieu en visioconférence, il n’y a pas eu beaucoup de problèmes en termes d’organisation des débats. Bien sûr, il est souhaitable de leur permettre de retrouver au plus vite l’ensemble de leurs prérogatives avec la suppression, une fois la crise passée, du raccourcissement des délais d’information et de consultation. Même les commissions santé et sécurité se sont réunies et tout le monde a été mobilisé. Mes inquiétudes portent encore une fois davantage sur le dialogue social institutionnel.

Les syndicats demandent une grande conférence sociale. Est-ce un moyen de relancer ce dialogue social institutionnel ?

Il y a des moments où il faut mobiliser toutes les forces de la nation pour trouver des réponses. Cela a été le cas en 1945, en 1968, et ce n’est pas inutile aujourd’hui. Certes, le dialogue social fonctionne aujourd’hui bien mieux au niveau local qu’au niveau national. Mais les deux mois que nous venons de vivre ont fait surgir de nouveaux sujets : la revalorisation des métiers qui ont été en première ligne, l’explosion du télétravail et le souhait d’une majorité de salariés de voir cette possibilité maintenue… Des grandes directives doivent être négociées au niveau national avant d’être mises en place et adaptées aux réalités au niveau local pour éviter les dérives. Même si, globalement, elles n’ont pas été si importantes que ça.

Ce n’est pas ce qui ressort de l’enquête de Technologia qui met l’accent sur un management très intrusif

Technologia, c’est le reflet de l’opinion des syndicats de salariés qui ont tout intérêt à mettre en évidence ce qui n’a pas bien fonctionné. Mais une conférence sociale doit permettre aux partenaires sociaux de sortir des postures habituelles. C’est vrai aussi pour le Medef. Encore une fois, il faut faire confiance aux acteurs sociaux et comprendre que les solutions dépassent le seul dialogue entre les organisations patronales d’une part et les syndicats de salariés de l’autre.

C’est-à-dire ?

Les questions du télétravail ou de l’étalement des horaires de travail bousculent non seulement les entreprises mais aussi tout l’écosystème. Elles interrogent sur l’organisation des transports, sur les gardes d’enfants… De nouveaux interlocuteurs, comme, les régulateurs des transports, doivent se retrouver autour de la table.

L’ouverture du dialogue social à de nouveaux acteurs serait-il donc un moyen de le remettre en selle au niveau national ?

La situation en tous les cas nous y incite…

Parcours

À la tête de l’association Dialogues, lieu de débat entre entreprises et acteurs sociaux, Jean-Dominique Simonpoli est aussi coauteur de l’ouvrage Le Dialogue social en France : entre blocages et big bang, en 2018.

Auteur

  • Laurence Estival