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Le fait de la semaine

Activité partielle : La chasse à la fraude a commencé

Le fait de la semaine | publié le : 25.05.2020 | Judith Chétrit

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Activité partielle : La chasse à la fraude a commencé

Crédit photo Judith Chétrit

Le ministère du Travail a annoncé un renforcement des contrôles des demandes d’indemnisation d’activité partielle. Dans le viseur, le secteur du BTP, mais également les « activités de services administratifs, de soutien et conseil aux entreprises ».

Avec plus de 12 millions de salariés couverts par une demande d’autorisation d’activité partielle, il ne faudrait pas que ce dispositif s’apparente au tonneau des Danaïdes. Certes, le secteur du tourisme et les autres activités restant concernées par des interdictions administratives y auront accès jusqu’à la fin du mois de septembre, mais le gouvernement réfléchit à une baisse du montant d’indemnité plafonné actuellement à 4,5 Smic et une dégressivité du remboursement, dès début juin. Même si le décompte des indemnisations ne peut s’effectuer en temps réel, ce soutien massif est estimé à 26 milliards d’euros sur trois mois. Et à peine le déconfinement débuté, le ministère du Travail a présenté un plan de contrôle des demandes d’indemnisation qui ne laisse, pour l’instant, guère de place aux contrôles à l’aveugle.

En quelques semaines, dans les unités départementales des Direccte, les services décuplés en charge de l’activité partielle ont déjà reçu un certain nombre de signalements de la part de salariés, de syndicats et d’élus du CSE. « Fin avril, des salariés s’étonnaient de voir une baisse de rémunération et l’indication de la mention “activité partielle” sur leur bulletin de paie alors qu’ils avaient travaillé et n’avaient jamais été informés de cette mise au chômage partiel par leur employeur », indique un inspecteur du travail en Occitanie, venu en renfort. Dans le viseur de l’administration du travail, plusieurs profils ont été identifiés dans une instruction datée du 5 mai pour alimenter un premier échantillonnage : les employeurs, pourtant outillés pour le travail à distance, qui ont demandé une mise au chômage partiel, ceux qui ont continué à faire (télé)travailler leurs salariés sur des heures payées par l’État ou bien ceux qui ont reçu des remboursements supérieurs aux rémunérations réellement versées à leurs effectifs.

Outre le secteur du bâtiment et des travaux publics qui reprend progressivement la route des chantiers, le ministère entend concentrer son contrôle sur les « activités de services administratifs, de soutien et conseil aux entreprises » qui ont eu fortement recours au chômage partiel malgré une importante population de cadres « où le télétravail peut être facilement mis en œuvre ». Il faut dire qu’au lieu des quinze jours habituels pour l’instruction de dossiers, le délai de réponse de l’administration était de 48 heures. Comme son silence vaut accord passé ce délai, il n’y avait guère de temps pour des contrôles a priori. Par ailleurs, l’ensemble des salariés couverts par des demandes d’autorisation ne sont effectivement pas placés ensuite en chômage partiel. Difficile donc de connaître l’ampleur de la fraude : selon un sondage du cabinet Technologia auprès de 2 600 élus du personnel majoritairement dans le privé, près d’un tiers de salariés en chômage partiel ont été appelés par leur manager et un quart aurait même poursuivi son activité.

Avec un objectif d’environ 50 000 contrôles déclinés dans chaque région d’ici la fin août, ce plan doit se dérouler en deux temps : une première vague de régularisations amiables en vertu du droit à l’erreur pour des demandes mal remplies et un remboursement d’indemnisations possiblement étalé en fonction de la trésorerie de l’entreprise.

Inciter à « l’auto-régularisation »

Un e-mail doit être adressé aux sociétés pour inciter à « l’auto-régularisation ». « Certaines entreprises se sont contentées de remplir des formulaires types en expliquant en quelques lignes leur baisse d’activité alors que les motifs d’interruption ou de réduction doivent être davantage développés. Il y a ensuite eu des avenants aux demandes pour y ajouter d’autres services. Les documents qui attesteront de la bonne foi de l’employeur sont le carnet de commandes, les relevés déclaratifs, de pointage ou bien de connexion à distance », observe Damien Chatard, avocat au sein du département social de CMS Francis Lefebvre. Le cadre juridique sera également pris en compte : « Avec des bulletins de paie, dont le temps d’édition court de deux à trois semaines, il a pu y avoir des allers-retours et des changements sur des positions réglementaires sans qu’il y ait intention de fraude », ajoute Patrick Bordas, vice-président du conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables.

Dans le cas de fraudes entrant dans le champ de contrôle de l’inspection du travail et particulièrement des unités régionales de lutte contre le travail illégal (URACTI), des sanctions pénales et administratives sont à prévoir en plus du recouvrement assuré par l’Agence de service et de paiement (ASP). Au-delà du retrait des décisions d’autorisation et d’indemnisation, les dirigeants risquent jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amendes ainsi que l’impossibilité de bénéficier d’aides publiques sur l’emploi et la formation professionnelle pendant cinq ans. « En cas de doutes, on a déjà demandé des fiches de pointage et des bulletins de salaire », affirme Bruno Labatut-Couairon, président de la CFTC du ministère du Travail et responsable mutations économiques dans l’unité départementale de l’Hérault qui chapeaute l’activité partielle. « Dans le cas où nous n’arrivons pas à établir une infraction, les inspecteurs du travail ont des pouvoirs d’investigation qui leur permettent d’aller dans les entreprises. »

Mi-mai, une première extraction a été réalisée dans les logiciels de l’ASP pour indiquer, dans chaque région, les employeurs comptabilisant le plus fort nombre d’heures indemnisées et les taux horaires les plus hauts. « Le risque de fraude semble particulièrement élevé », estime l’administration qui a fourni à ses agents une annexe détaillant la typologie des fraudes possibles. Y apparaissent le travail effectif déclaré en activité partielle, le cumul avec des indemnités de congés payés ou maladie, une activité inexistante avant la demande d’activité partielle ou bien des embauches en vue d’en bénéficier. Si les Direccte doivent rester les chefs de file de la chaîne de contrôle, la coordination est le mot d’ordre, notamment pour croiser les données de plusieurs systèmes d’information administratifs. Si des outils de contrôle embarqué sont déjà disponibles, d’autres sont en cours d’élaboration.

Recoupement d’informations

Comme l’indique une seconde instruction du 14 mai, d’autres acteurs seront mobilisés comme les agents des Urssaf, notamment pour leur expertise sur la paie et la vérification parallèle des déclarations sociales nominatives, ou bien les caisses de l’Assurance maladie pour les arrêts de travail. « C’est là que se jouera la complémentarité des services. On va être obligé de travailler ensemble sur des fraudes complexes. L’échange et le recoupement d’informations pourra se faire dans le cadre des comités opérationnels départementaux anti-fraude », affirme Jean-Michel Louineau, élu CFDT et directeur adjoint de l’unité départementale de la Charente. Car les moyens humains et techniques pour assurer ces plusieurs dizaines de milliers de contrôles restent, comme d’habitude, le cœur du déploiement. Un recrutement déjà entamé de 300 vacataires avec des CDD de six mois dans les services doit aider au contrôle sur pièces. Au-delà de la difficile vérification des plages horaires de télétravail, « je me demande à quel moment le droit à l’erreur s’arrêtera et sous quelles conditions pourra intervenir l’inspection du travail », confie une inspectrice appartenant à une URACTI. Reste à savoir comment ce plan de contrôles évoluera au fil des mois avec la reprise des autres missions de l’inspection du travail, la probable augmentation des PSE examinés par les Direccte et le surcroît de travail des services chargés de l’activité partielle.

Auteur

  • Judith Chétrit