La crise sanitaire a profondément changé l’organisation du travail. Dans le secteur tertiaire, les collaborateurs ont fui les bureaux communs pour se retrancher chez eux, en télétravail, fortement encouragés par leur direction et le gouvernement. Avec le déconfinement, le retour sur site repose sur de nouveaux aménagements, parfois surprenants.
Des employés prennent l’ascenseur pour se rendre à leur bureau. Rien de plus banal dans le début de journée d’un salarié. Sauf que ce dernier vient de rencontrer un robot qui a pris sa température et qu’il porte un masque lui couvrant la moitié du visage. Dans l’ascenseur, un marquage au sol l’invite à se positionner dos à ses collègues. Seules six personnes sont autorisées dans l’habitacle. La scène se passe en région parisienne, à La Défense, au siège du groupe Total. Elle a des allures de science-fiction. À la suite de la crise sanitaire, si le télétravail continue à être fortement encouragé lorsqu’il est possible, la reprise s’organise depuis la fin du confinement.
Pour Patrick Pouyanné, président-directeur général de Total, « nous allons commencer à rentrer, pour un certain nombre de pays, dans un déconfinement et donc un retour à un mode de fonctionnement aussi normal que possible, sachant que nous allons devoir vivre avec le Covid-19 présent. Nous avons arrêté un certain nombre de grands principes pour préparer le retour des collaborateurs sur leur lieu de travail. D’abord, il va se passer de manière graduelle, étape par étape. La première des responsabilités est celle des managers sur le terrain, celle des patrons de filiale. C’est un choix délibéré de décentraliser la mise en œuvre concrète et pratique. »
Si la latitude est laissée au personnel sur le terrain, des principes communs ont néanmoins été érigés : port du masque fourni par l’entreprise (deux masques par personne et par jour), incitation au lavage des mains à outrance, distanciation sociale, échelonnement des arrivées, aménagement des zones de circulation… Rien n’a été laissé au hasard. Patrick Pouyanné a affiché lui-même sur la porte des salles de réunion le nombre maximum de personnes autorisées.
Fondatrice et directrice générale de l’observatoire de la qualité de vie au bureau Actinéo, Odile Duchenne décrypte depuis seize ans, avec ses équipes, l’évolution des aménagements des espaces de travail : « On a pu observer deux types d’aménagement, le premier réalisé dans l’urgence et le second qui vise à devenir pérenne. » Dans un premier temps, une table avec du gel hydroalcoolique va remplacer le porte-parapluies, des cloisons en Plexiglas vont entourer l’avant des bureaux, des poignées améliorées permettront de nous passer des mains et d’actionner les portes avec les coudes.
Mais une fois l’urgence parée, les aménageurs réfléchissent à l’organisation et à l’agencement de l’espace de demain. « Les ascensoristes sont à pied d’œuvre. On n’appuiera plus sur un bouton avec la main. Ils devront trouver un système pour le faire avec les pieds ou privilégier la commande vocale », ajoute Odile Duchenne. Va-t-on revenir à des bureaux fermés pour limiter les contacts ? Les agenceurs vont-ils continuer à proposer ces mini-boxes où le collaborateur s’isolait pour passer ses appels téléphoniques ? « Surtout pas, répond la directrice d’Actinéo. Ces derniers étaient une fausse bonne idée : on voulait pallier le manque d’intimité et le bruit. Or, ces lieux confinés sont de véritables nids à microbes. » Pour elle, le travail individuel se fera hors des murs. Les employés ne viendront plus dans les locaux de leur entreprise que pour des réunions créatives, des échanges informels.
L’entreprise deviendra un hub, le lieu de la convivialité et du « nous sommes ensemble », par opposition au travail en autonomie à la maison. « Par conséquent, il faudra des salles de réunion plus grandes, mieux ventilées et plus hautes de plafond. Il va falloir être généreux avec l’espace, gagner des mètres carrés pour la cafétéria et les salles de restaurant », explicite Odile Duchenne.
Les industriels ne sont pas en reste et travaillent à créer des matériaux qui se laveront plus facilement ou des surfaces sur lesquelles le virus vivra moins longtemps. Parmi les fabricants qui cogitent sur le futur, Sophie Chenel dispose d’un sacré recul puisque son entreprise, qui fabrique des éléments de mobilier de bureau fournis aux créateurs, existe depuis 124 ans. « La séparation d’espace est notre recherche quotidienne, explique-t-elle. On coupe l’espace à l’horizontale, à la verticale pour les décorateurs de salon, les architectes de bureaux. » Les cloisons que son équipe crée mettent les gens à distance : elles sont faites en papier, possèdent des découpes et des couleurs personnalisées, s’illuminent, jouent sur la transparence. Auto-stables, elles sont déplaçables à l’envi. « Je conseille vivement aux directions des entreprises de faire appel à des sachants, des architectes et des designers pour penser l’espace. Cela évite de nombreuses déconvenues ou des parcours mal pensés. En plus, contrairement à ce que l’on croit, ce n’est pas si cher de faire appel à eux », conclut-elle. Vu l’urgence, le marché du mobilier de bureau risque la surchauffe dans les mois à venir !