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Le fait de la semaine

Dialogue social : Télétravail : Négocier… ou pas

Le fait de la semaine | publié le : 18.05.2020 | Benjamin d’Alguerre

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Dialogue social : Télétravail : Négocier… ou pas

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Le Medef vient de donner son feu vert pour une concertation sur le télétravail. Pas du goût des syndicats qui, eux, réclament une négociation et un accord national interprofessionnel.

Pendant un mois et demi, le télétravail s’est imposé comme unique alternative au chômage partiel dans les entreprises qui pouvaient se permettre une poursuite d’activité à distance. Bon gré, mal gré, de façon improvisée (souvent) ou encadrée par un accord (plus rarement), quelques 5 à 8 millions de salariés ont embarqué dossiers et ordinateurs portables sous leurs bras, installé Zoom et WhatsApp sur leurs disques durs et mené, tant bien que mal, leur vie de travailleurs à domicile. Pour autant, la date du 11 mai ne s’est pas traduite par un retour massif dans les bureaux. « Pour réussir le déconfinement, les entreprises doivent recourir au maximum au télétravail », expliquait Muriel Pénicaud, le 9 mai, à l’occasion de la sortie d’un guide thématique qui, sous forme d’un document questions-réponses, se propose de répondre aux interrogations des employeurs et salariés peu habitués à ce mode d’organisation du travail.

Une réponse à une situation d’urgence

Pour les partenaires sociaux, ce guide – sur lequel ils ont eu un droit de regard avant publication – ne constitue qu’un premier pas dans l’attente d’une vraie négociation sur le télétravail. « C’est une première étape qui correspond à une situation d’urgence », note Cyril Chabanier, président de la CFTC. « À ce stade, il s’agit davantage d’une foire aux questions que d’un véritable guide. Il est améliorable – et nous avons justement engagé un tel travail d’enrichissement – mais la question du télétravail doit faire l’objet d’une négociation débouchant sur un accord national interprofessionnel (ANI). » Laurent Berger a été, dès le 7 mai, le premier leader syndical à réclamer la tenue d’une telle négociation, mais tous ses homologues lui ont emboîté le pas, y compris Philippe Martinez, en dépit d’une méfiance historique de la CGT envers le télétravail. Ce qui n’avait cependant pas empêché la centrale de Montreuil de signer, en 2017, un diagnostic partagé à la suite d’une concertation que les partenaires sociaux avaient engagé sur le sujet. Cette conversation aurait pu déboucher sur une « vraie » négociation… mais les ordonnances de 2017 sont venues torpiller le projet, laissant la question du télétravail à un précédent ANI en date de 2005. Plus vraiment à jour du fait de l’évolution des NTIC en quinze ans.

Aujourd’hui, le patronat hésite à nouveau sur la nature à donner aux futures discussions sur le télétravail. Dans les grands groupes, ce mode d’organisation du travail ne fait pas l’unanimité. « Au début de la crise, Accenture avait exigé de ses collaborateurs qu’ils restent en poste même pendant le confinement. Il a fallu que les représentants des salariés tapent du poing sur la table pour les contraindre à adapter l’organisation du travail à la situation », confie un syndicaliste. À l’inverse, chez PSA (lire p. 12), le télétravail pourrait devenir la norme puisque son DRH, Xavier Chéreau, a annoncé son intention de boucler « en deux mois » une négociation visant à limiter le temps de présence au bureau de plusieurs dizaines de milliers de salariés – essentiellement sur des fonctions support ou commerciales – à un jour et demi par semaine.

Déstructuration du collectif ?

Et cette hésitation sur les suites à donner sur les conséquences de la période de télétravail forcé liée au confinement se ressent au niveau des organisations d’employeurs. Si Hubert Mongon, délégué général de l’UIMM et porteur des dossiers sociaux au sein du Medef, a donné son « go » le 12 mai au soir à l’ouverture d’une concertation « dans les quinze jours », pas question pour autant que celle-ci s’achève sur un accord national interprofessionnel. Au sein de l’organisation de Geoffroy Roux de Bézieux, on imagine plutôt une conclusion sous forme d’un nouveau diagnostic partagé, « un partage d’expériences sur la situation vécue au sein des entreprises ». La CPME, de son côté, exclut toute idée de négociation : « Nous sommes favorables à une discussion, mais pas à une remise en cause des ordonnances de 2017 qui sont largement opérationnelles », avance Éric Chevée, vice-président en charge des affaires sociales au sein de la Confédération des PME. « Le télétravail peut offrir de la souplesse aux entreprises, mais il ne faut pas oublier que notre société a besoin d’industries, de commerces, de services à la personne ou de professionnels du bâtiment qui restent des activités difficilement “télétravaillables”. Il ne faudrait pas déstructurer le collectif de l’entreprise, surtout dans les TPE-PME où la notion d’équipe est très importante, sous prétexte que nous venons de traverser une période exceptionnelle. L’exception ne doit pas devenir le prétexte pour imposer de nouvelles règles. » Un discours globalement partagé par les artisans de l’U2P.

Nouveaux risques psychosociaux

Problème : pour les syndicats, un ANI constituerait l’occasion de graver quelques obligations dans le Code du travail à l’heure où le télétravail relève encore majoritairement de l’informel. « Les ordonnances de 2017 le rendent réalisable sur simple accord verbal entre l’employeur et l’employé. Tout au mieux reconnaissent-elles une présomption d’accident du travail pour le salarié qui subirait un dommage pendant une période de télétravail, mais c’est insuffisant », observe Jean-Luc Molins, secrétaire général de l’Ugict, la fédération des cadres et techniciens CGT. Selon une étude réalisée par le syndicat auprès de 34 000 salariés durant la période de crise sanitaire, le télétravail sans cadre est source de souffrance chez les travailleurs. 78 % des entreprises n’auraient ainsi pas mis en place de règlements relatifs au droit à la déconnexion, 82 % n’auraient pas défini de plages horaires pendant lesquelles le salarié était joignable et 83 % n’avaient pas prévu de dispositions de réductions du temps de travail pour les parents devant garder leurs enfants. 24 % constataient une augmentation de la charge de travail et 30 % se sont sentis surchargés d’informations par leurs directions. Côté santé, 44 % se sont plaints de douleurs inhabituelles dues à de mauvaises postures et un équipement inadapté. Ce qui pour autant n’a pas empêché 43 % de ressentir un vrai sentiment de liberté dans cette situation professionnelle. « Les conditions de vie lors du télétravail et les nouveaux risques psychosociaux qu’il peut entraîner doivent être étudiés de près durant la négociation », abonde Cyril Chabanier.

Enjeux managériaux

Pas si facile : « La démocratisation du télétravail implique d’énormes enjeux managériaux. Même si nombre de grands groupes ou de fédérations professionnelles comme l’IUMM – qui rassemble un nombre important de sociétés de la Tech – ou le Syntec réfléchissent à des projets innovants, le télétravail demeure un sujet d’entreprise. Dans les PMI où la plupart des salariés sont tenus de rester dans les ateliers, que quelques cadres travaillent à domicile peut susciter des jalousies », lâche un ancien du Medef. Le télétravail, symbole du retour de la guerre entre cols blancs et cols bleus ? « C’est un risque. C’est pourquoi la négociation de l’ANI devrait se poursuivre par celles d’accords d’entreprises », reconnaît Cyril Chabanier. Reste à découvrir, déjà, si un accord interprofessionnel verra le jour…

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre