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Activité partielle : Des accords solidaires à géométrie variable

Le point sur | publié le : 11.05.2020 | Dominique Perez

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Activité partielle : Des accords solidaires à géométrie variable

Crédit photo Dominique Perez

Compléter l’indemnisation liée au chômage partiel par un don de jours de congés ou de RTT : des entreprises ont expérimenté cette démarche à l’occasion de la crise sanitaire. Avec plus ou moins de succès et des incertitudes pour l’avenir.

Les congés et jours de RTT comme variables d’ajustement et de limitation des coûts liés au chômage partiel pour les entreprises… Après l’ordonnance du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos qui permet à l’employeur d’imposer jusqu’à six jours de congés payés et jusqu’à dix jours de RTT à ses salariés, la question du don de jours de repos est apparue sur le devant de la scène. Le principe ? Permettre aux salariés au chômage ou en activité partielle, pour tout ou partie d’entre eux, de bénéficier d’une indemnisation supérieure aux 84 % de leur salaire net que ce dispositif prévoit. Des accords dits de solidarité ont été négociés, prenant des contours différents selon les entreprises. Des négociations menées tambour battant, dans des conditions jamais connues et des sociétés souvent désertées. « Pour la première fois, on n’a pas pu avoir véritablement de rapport de force, souligne Fabrice Fort, délégué syndical central CGT chez Renault Trucks. Aucun salarié n’était présent dans l’entreprise et n’avait accès à sa boîte mail professionnelle. »

Le forfait jours au cœur des discussions

En fonction des entreprises ayant signé ou souhaité signer un accord, la question de la solidarité – et de ses limites – s’est posée avec une acuité nouvelle. Les regards se sont tournés vers les cadres, moins concernés globalement par l’activité partielle et bénéficiant de dispositions particulières dans certains secteurs, en premier lieu, la métallurgie et l’automobile, où ont été majoritairement signés ces accords. « À la suite de l’accord du 28 juillet 1998, la rémunération du salarié au forfait jours ne peut être réduite du fait d’une mesure de chômage partiel affectant l’entreprise », précise Jean-François Foucard, secrétaire national de la CFE-CGC. Ce qui fut considéré comme une inégalité de fait a probablement participé au mouvement : « Cette mesure fait que l’on a une différence importante entre les salariés, souligne Stéphane Destugues, secrétaire général de la fédération CFDT métallurgie. Et explique sans doute que dans notre branche nous avons eu plus d’accords solidaires. Thalès a ouvert le bal. Certaines entreprises, plutôt dans l’automobile, visent un salaire à 100 %. Dans l’aéronautique, on est plutôt à 92 %. »

Viser l’égalité

Ainsi Renault Trucks a signé un accord le 14 avril dernier, qui prévoit que « les salariés placés en activité partielle ont le choix soit de maintenir leur rémunération à 100 % en finançant la solidarité par le don de jours, dans la limite de 1,6 jour pour 20 jours ouvrés d’activité partielle, soit de diminuer leur rémunération à 92 % sans don de jours de congés », explique Fabrice Fort. Ce qui permet de mettre tous les salariés sur un relatif pied d’égalité, avec un minimum de 92 % de rémunération. Un « pis aller », selon la CGT, qui a tout de même choisi de signer l’accord, ainsi que la CFE-CGC, la CFDT, FO et SUD. « La CGT a proposé de rémunérer l’ensemble des salariés à 100 %, ce qui représente une somme dérisoire comparer aux 600 millions d’euros de dividendes annoncés. »

100 % de rémunération chez Goodrich

Chez Goodrich Actuation Systems SAS (matériel aéronautique et militaire), qui comprend deux sites à Vernon et à Saint-Ouen-l’Aumône, et environ 1 000 salariés répartis sur les deux sites, plus de la moitié des effectifs était concernée par le chômage partiel. L’unité syndicale a également prévalu. C’est cette fois la CFDT et la CGT qui ont proposé un accord de solidarité à la direction signé aussi par la CFE-CGC. « Il était totalement ficelé, comme nous avons l’habitude de faire, souligne Corentin Laurent, délégué CFDT. Nous aurions voulu qu’elle prenne à 100 % le complément de rémunération des salariés en chômage partiel, mais elle ne pouvait pas. » Contrairement à nombre d’autres sociétés, comme PSA, le don d’heures a été institué sur la base du volontariat et concerne tous les salariés, y compris ceux qui sont en chômage partiel. « L’idée a été de récolter des dons sous forme de temps de repos (jours de congé, d’ancienneté, de RTT, etc.) convertis ensuite en euros suivant un taux basé sur le salaire médian de l’entreprise et un temps de travail de 151,67 heures mensuelles. » Objectif : que chaque salarié puisse bénéficier de 100 % de rémunération. Un objectif quasi atteint au bout de quelques semaines, avec plus de 400 jours donnés, sur 306 nécessaires. « La direction du Groupe Collins y a ajouté un financement supplémentaire de 10 jours de dispense d’activité pour chaque salarié impacté par une baisse d’activité sur la période du 18 au 31 mars », précise Corentin Laurent. Parmi eux, ceux qui avaient posé des jours de repos sur cette même période se les verront réattribués, souligne l’intersyndicale. « Grâce à ce financement inattendu, tous les salaires versés fin avril pourront être maintenus à 100 %, car le recours aux heures de chômage partiel financées par l’État n’aura pas été nécessaire au cours du mois de mars. »

Engie ou l’accord avorté

Cependant, ces exemples n’illustrent pas la réalité de tous les accords signés, ou pour certains avortés, dans des entreprises qui n’ont pas connu d’unanimité syndicale. Chez Engie, les négociations ont même abouti à une impasse, pour cause de désaccord. En cause : la question du volontariat, portée par la CFE-CGC et la CGT et refusée par FO. « Il n’y aura pas d’accord chez Engie, regrette Hamid Ait Ghezala, coordinateur groupe CFE-CGC. Ce qui était proposé était la suppression d’une journée de congé pour les salariés afin de compléter l’indemnité de l’activité partielle de ceux qui percevaient 1,5 Smic. Nous étions contre le principe d’imposer ce don, pour nous, cela devait être librement consenti. » Ce à quoi ne croyait pas FO, notamment. « La direction proposait que chacun donne une journée, nous considérions que ce n’est pas la mer à boire, pour permettre à ceux qui en ont le plus besoin de bénéficier de 100 % de leur salaire. Cela aurait permis de couvrir l’intégralité des pertes financières des salariés en chômage partiel, plus de 15 000 dans le groupe, et de faire des dons à des ONG ou des associations en lien avec la crise que nous traversions. Si cela avait été volontaire, cela aurait demandé une énergie folle, avec un résultat qui n’aurait pas été à la hauteur. Les gens n’auraient pas donné suffisamment », estime Gildas Gouvaze, coordinateur pour FO. Autre question brûlante : les accords, dont la plupart se terminent en juin, pourront-ils être renouvelés en cas de poursuite massive de l’activité partielle ? Gageons que le don de jours de congés aura ses limites alors que se profilent les vacances d’été…

Auteur

  • Dominique Perez