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Travail frontalier : L’Allemagne méfiante, voire hostile, envers les salariés français

L’actualité | publié le : 11.05.2020 | Pascale Braun, Mathieu Noyer

Les 45 000 Français employés dans les trois Länder frontaliers du Grand Est sont confrontés à un chômage partiel sélectif, à des tracasseries et à des vexations.

Entre la France et l’Allemagne, les frontières sont devenues des barrières. Les Alsaciens et les Lorrains, qui avaient étrenné la libre circulation avant même la signature des accords de Schengen en 1985, voient ressurgir avec stupeur les contrôles et les patrouilles. Les mises en garde de l’institut sanitaire allemand Robert-Koch, qui classait mi-avril le Grand Est comme une des zones européennes à plus haut risque de Covid-19, ont déclenché au sein des gouvernements de Sarre, de Rhénanie-Palatinat et du Bade-Wurtemberg, puis parmi les employeurs de ces trois Länder, des mesures disparates souvent vécues par les travailleurs frontaliers – environ 20 000 Lorrains et 25 000 Alsaciens – comme vexatoires, voire discriminatoires.

De la Moselle au Haut-Rhin, soit une bande de 450 kilomètres, les travailleurs frontaliers se sont d’abord trouvés confrontés à la fermeture physique de la quasi-totalité des passages ferroviaires et routiers. Dans le Bas-Rhin, seuls trois, puis quatre points de passage ont été préservés pour laisser circuler les travailleurs et les transporteurs de marchandises. « Certains frontaliers ont dû se lever à 3 heures du matin pour arriver à l’heure à leur travail. Ils ont de surcroît subi des contrôles de l’état du véhicule dignes d’un contrôle technique ! Et il n’est pas sûr que le déconfinement engagé en Allemagne mette fin à ces contrôles qui créent des situations intenables », s’alarme Evelyne Isinger, conseillère régionale du Grand Est déléguée au transport transfrontalier. En Moselle, les barrages ont provoqué des bouchons, mais surtout d’énormes détours pour accéder à des sites situés à quelques kilomètres à vol d’oiseau.

Exclus de la reprise

Pour nombre de frontaliers, la question ne s’est pas posée : leur employeur allemand a choisi d’engager la reprise sans eux. Ainsi, le constructeur automobile Ford et l’équipementier ZF, qui emploient respectivement 800 et 900 Mosellans dans leurs usines sarroises, ont attendu le 4 mai, soit trois semaines après leur redémarrage, pour les laisser revenir au travail. « Nous comprenons que la direction ait tenu compte des consignes sanitaires. Nos collègues français n’ont pas été discriminés, puisqu’ils ont perçu l’intégralité de leur salaire sans travailler », justifie le syndicaliste Mario Kläs, secrétaire général du comité d’entreprise de ZF. De fait, les montants d’indemnisation du chômage partiel par les entreprises allemandes ne diffèrent pas selon la nationalité des bénéficiaires. Mais les associations de défense des travailleurs frontaliers dénoncent de longue date une double imposition qui grève ce revenu de 10 %. Elles pointent aussi des attitudes discriminatoires, tels des salariés français auxquels il a été interdit de déjeuner dans les mêmes locaux que leurs collègues, de sortir durant la pause méridienne ou de s’attarder en Allemagne une fois le travail terminé.

Les tensions, très vives au début de la crise, semblent s’être progressivement atténuées. Mais l’épisode laissera des traces. Des aidants, interdits de visite à leurs proches, aux retraités français, qui n’ont pas pu retirer l’argent de leur retraite dans les banques allemandes, en passant par les femmes de ménage congédiées ou les « mini-jobs » suspendus sans indemnisation, l’amitié franco-allemande que proclamait le traité d’Aix-la-Chapelle voici un an tout juste est mise à rude épreuve. Le choc économique qui succédera à la crise sanitaire n’arrangera pas les choses. « Le droit du travail allemand rend les licenciements très faciles dans les entreprises de moins de 10 salariés », rappelle Cédric Rosen, président de l’Association des frontaliers d’Alsace-Lorraine, qui revendique 6 000 adhérents entre l’est mosellan et le nord de l’Alsace. Le relatif silence des frontaliers face à ces désagréments s’explique sans doute par leur crainte de perdre leur emploi.

Le Grand-Duché s’ouvre au télétravail

Tributaire du travail frontalier, qui représente 200 000 personnes, soit la moitié de sa main-d’œuvre, le Luxembourg a signé en urgence des accords de télétravail avec l’Allemagne, la Belgique et la France. Une réglementation temporaire suspend le plafond de 29 jours de télétravail au-delà duquel le frontalier français est imposé dans son pays d’origine. Le télétravail laisse cependant entier le problème de la dépendance – mise en exergue par le Covid-19 – du système sanitaire grand-ducal à la main-d’œuvre étrangère. Les ressortissants luxembourgeois ne représentent que 42 % des effectifs globaux des professionnels de santé.

Auteur

  • Pascale Braun, Mathieu Noyer