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Quelques pistes pour redonner sa place au travail réel

Chroniques | publié le : 27.04.2020 |

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Quelques pistes pour redonner sa place au travail réel

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Charles-Henri Besseyre des Horts Professeur émérite à HEC, président de l’AGRH

Dans ma chronique précédente1,

j’évoquais l’espoir d’un retour en force du travail réel avec la remise en cause de la financiarisation des entreprises. Pour aller plus loin, cette chronique propose quelques pistes pour redonner sa place au travail réel à l’issue de la pandémie. Mais qu’est-ce que le travail réel ? La meilleure définition est celle de Pierre-Yves Gomez, professeur à l’EM Lyon, pour qui le travail réel est celui qui combine, premièrement, une expérience subjective, valorisée par la reconnaissance ; deuxièmement, une expérience objective, valorisée par des normes de performance ; et, troisièmement, une expérience collective, valorisée par la solidarité2. L’expérience des équipes de soignants durant l’épreuve que nous vivons actuellement est un formidable exemple de ce travail réel avec leur reconnaissance par nous tous aux fenêtres chaque soir à 20 h, les résultats incroyables en nombre de vies sauvées, et la solidarité interne et externe de ces équipes. Les entreprises peuvent apprendre beaucoup de cette expérience pour redonner sa place au travail réel en agissant sur la reconnaissance, les normes de performance, et la solidarité.

Sur le plan de la reconnaissance,

tout d’abord, beaucoup d’efforts restent à faire dans la mesure où la France est l’un des pays du monde occidental parmi les plus à la traîne, selon les études régulières sur l’engagement des collaborateurs. La reconnaissance dont il est question ici va bien au-delà de la rémunération, il s’agit surtout de reconnaître la personne et le travail bien fait. Sur ces dimensions, nos cousins québécois sont passés maîtres de ces formes de reconnaissance qualitative qui ne coûtent rien. Sans tomber dans les excès anglo-saxons de « l’employé(e) du mois », les entreprises pourraient s’inspirer de l’exemple de la MAIF qui a profondément transformé ses pratiques managériales depuis quelques années vers plus de confiance et de reconnaissance comme en témoigne son DG, Pascal Demurger, dans son livre récent3.

En ce qui concerne les normes de performance,

l’enjeu est important, car on est au cœur de la question du travail réel en permettant d’identifier objectivement les résultats du travail accompli pour peu que ces normes soient connues et acceptées par tous. Rien n’est pire, en effet, que de travailler pour rien comme le dénonce David Graeber dans le cas des « bullshit jobs »4. Les normes peuvent être, bien sûr, quantitatives, mais aussi et surtout qualitatives concernant le savoir-faire, les règles de l’art et le bon geste5. Les DRH peuvent ici innover dans les pratiques de management de performance en introduisant des « conversations » plus fréquentes entre les managers et les collaborateurs sur le comment (normes qualitatives) en complément des évaluations traditionnelles d’atteinte des objectifs (normes quantitatives).

Sur le thème de la solidarité,

enfin, c’est le sens du collectif qu’il s’agit de redonner au travail dans la mesure où la crise actuelle met en évidence, d’une façon cruciale, l’importance de réussir ensemble. Dans cette perspective, les entreprises, et les DRH en particulier, doivent s’atteler à créer les conditions pour que le collectif retrouve sa légitimité dans le travail au détriment de l’individualisation forcenée qui a caractérisé les dernières décennies6. Comme belle illustration de la solidarité, on ne peut que saluer l’initiative du groupe Accor qui a décidé le 16 avril de mettre à disposition des autorités sanitaires 300 hôtels avec des salariés volontaires pour héberger des personnes contaminées par le virus, mais asymptomatiques ou faiblement malades7. Avec cette décision, cette entreprise donne un signe fort à ses collaborateurs sur l’importance du collectif dans le travail pour faire face à la crise actuelle et ainsi renforcer sa résilience par rapport aux fortes incertitudes qui caractérisent l’évolution future du secteur hôtelier.

(1) Besseyre des Horts, CH : « Pour en finir avec la financiarisation : la revanche du travail réel dans l’après Covid-19 ? », Entreprise & Carrières, n° 1476, 13-19 avril 2020, p. 13.

(2) Gomez, P-Y. : Le travail invisible, enquête sur une disparition, François Bourin, 2013.

(3) Demurger, P : L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus, Ed de l’Aube, 2019.

(4) Graeber, D. : Bullshit Jobs, Éditions les Liens qui libèrent, 2018.

(5) Gomez, P-Y., 2013, op.cit.

(6) Du Payrat, C. : Orchestrer l’intelligence collective, Pearson, 2019.