Camille Fauran, directrice générale de Welcome to the jungle, une plateforme de mise en relation entre les entreprises et les candidats, a élaboré une stratégie globale pour piloter ses 120 collaborateurs, tous en télétravail dans une situation de confinement. Elle passe en revue les différents volets de sa démarche, depuis les outils digitaux jusqu’aux méthodes de management qu’il a fallu adapter, en passant par les dérives à éviter pour maintenir la mobilisation et la cohésion des équipes.
À court terme, il faut s’équiper pour continuer à travailler mais, sur la durée, l’enjeu est le maintien du lien entre collaborateurs et entre collaborateurs et managers. À Welcome to the jungle (WTTJ), nous avons une culture « remote » (distancielle) bien installée puisque l’ensemble de nos 120 collaborateurs pouvaient déjà travailler à distance la moitié de leur temps et que 10 % de nos effectifs sont déjà en télétravail permanent. Nous avons une culture du télétravail. Il faut cependant rester vigilant. Le télétravail n’est pas fait pour tout le monde. L’isolement peut être mal vécu. Le travail est intégré à toute une vie sociale. En télétravail peuvent apparaître des difficultés à gérer les temps de pause, ou encore l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, difficultés aggravées par un système de confinement et, pour certains, par la solitude. Nos équipes ont une moyenne d’âge de 30 ans et la plupart de nos collaborateurs attachent une grande importance à la vie sociale, d’autant que certains vivent dans des logements d’une surface modeste.
Il faut d’abord conserver la mobilisation des équipes et se mettre en position de détecter les collaborateurs en détresse. Nous avons pris tous ces sujets au sérieux et nous avons décidé de former les collaborateurs au télétravail. Nous avons créé une plate-forme documentaire dans laquelle nous avons déposé des articles que nous avons rédigés, sur toute une série de points comme la gestion du temps, la gestion de son agenda, etc. Dès que le confinement a été annoncé, nous avons créé une task force composée de nos cinq télétravailleurs permanents. Ce sont ceux qui connaissent le mieux cette réalité et ils ont rédigé la plupart des articles qui ont été déposés dans notre base de connaissance. Nous nous sommes inspirés de GitLab. C’est une plate-forme de création et de gestion de code dont tous les collaborateurs travaillent à distance et qui a largement documenté tous ses process afin de reposer le moins possible sur la culture orale propre au travail en présentiel. Nos télétravailleurs permanents sont de véritables ambassadeurs auprès desquels tous les collaborateurs peuvent demander conseil à travers notre outil Slack. Durant la semaine du 23 mars, nous avons organisé des sessions en ligne durant l’heure du déjeuner pour partager les bonnes pratiques (comment gérer son temps, comment faire une réunion à distance, etc.).
Pour détecter les situations difficiles, voire de détresse, nous avons lancé un sondage hebdomadaire qui passe en revue les différents aspects du télétravail : l’environnement dans lequel les collaborateurs travaillent, mais aussi la qualité de leur équipement, comment ils se sentent, etc. Le télétravail peut faire surgir des difficultés de coordination réelle. Globalement, nous suivrons trois indicateurs clés : le ressenti des collaborateurs en phase de télétravail ; leur sentiment par rapport à leur environnement direct et leur sentiment d’appartenance, aussi bien à leur équipe qu’à l’entreprise. Ce sondage n’a rien d’obligatoire et il peut être anonyme. Les sondages seront analysés par un groupe de neuroscientifiques et de psychologues pilotés par deux spécialistes des neurosciences. Nous allons travailler avec eux sur les deux prochains trimestres. À partir des résultats que nous observerons à mesure que nous recueillerons des données à travers les sondages, nous pourrons envisager des actions correctrices avec l’équipe des ambassadeurs du télétravail. Il est possible que nous fassions appel à des psychologues, en fonction des résultats observés, mais cela reste pour l’instant une option.
L’autre grand enjeu est d’éviter la démobilisation et l’instauration d’une forme de défiance entre l’entreprise et les collaborateurs. L’entreprise doit donner de la visibilité et communiquer sur les actions mises en place pour surmonter la crise. Les managers ont un rôle actif à jouer afin de favoriser le raffermissement du lien social, améliorer la qualité de l’équipement, et surtout instaurer un accompagnement de qualité. Nous organisons sur Zoom un point hebdomadaire chaque lundi durant lequel le CEO prend la parole et répond à toutes les questions des 120 collaborateurs. L’objectif est de donner un cadre clair. Chaque semaine est aussi organisée une réunion à distance entre les 15 managers afin de faire circuler l’information, de partager les bonnes pratiques et de réfléchir à de nouvelles initiatives.
Les managers organisent chaque matin un « point café », là aussi à distance, pour prendre le pouls de leurs équipes et organiser le travail. Il y a aussi des « pots d’équipe », le soir parfois. Cela permet de recréer les moments informels qui existent en présentiel et de détecter les situations de stress aigu. Un enjeu managérial important est de préserver la confiance. Avec la distance, certains managers peuvent avoir un sentiment de perte de contrôle et être tentés par le micro-management (vérification des horaires de connexion, de la rapidité de réponse, etc.). Nous avons alerté nos managers sur ce risque. L’essentiel, c’est que les équipes aient des directives claires et précises, pour que chacun sache ce qu’il a à faire. Globalement, en termes managériaux, il s’agit de conserver une approche centrée sur les résultats, pas sur les moyens mis en œuvre. Le confinement et la distance suscitent un besoin supplémentaire de connexion. Le nombre de visioconférences a explosé, de même que l’usage de Slack, alors que nous étions une entreprise qui n’était pas très adepte des réunions. C’est un phénomène normal dans une période où les gens ont besoin de lien. Cela induit une nouvelle manière de communiquer où domine l’oral. Les collaborateurs communiquent beaucoup aussi par téléphone entre eux. C’est un mode de fonctionnement qui peut évoluer rapidement mais pour, l’instant, le point clé est de recréer du collectif.
Camille Fauran a rejoint Welcome to the jungle (WTTJ) en 2016 au sein de l’équipe business après avoir passé trois ans dans le conseil. Durant dix-huit mois, elle a consacré son énergie à convaincre les entreprises de faire évoluer leur approche du recrutement et de faire le pari de WTTJ pour transformer leur relation avec les candidats. Depuis 2018, elle accompagne la croissance de WTTJ et devient responsable des opérations en charge de l’organisation et des process, du développement international et des ressources humaines. Elle est directrice générale de la société depuis janvier 2020.