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Les Héros de l’ombre : vers une nouvelle hiérarchie des emplois ?

Chroniques | publié le : 30.03.2020 |

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Les Héros de l’ombre : vers une nouvelle hiérarchie des emplois ?

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Charles-Henri Besseyre des Horts Professeur émérite à Hec, Président de l’AGRH

On entend partout que la crise mondiale du coronavirus,

d’une ampleur telle qu’elle est susceptible d’accélérer encore plus le basculement du centre de gravité mondial vers l’Asie et plus précisément vers la Chine, va remettre les pendules à l’heure dans nos sociétés occidentales convaincues de leur supériorité intellectuelle, scientifique, et technologique. La première leçon de cette crise est d’abord l’apprentissage accéléré de l’humilité tant les incertitudes sont encore fortes quant à l’issue de cette pandémie et aux conséquences à moyen et long termes pour les individus et les organisations privées et publiques. Mais c’est sans doute sur le terrain des emplois que devrait se jouer, du moins on peut l’espérer, une véritable remise en cause des certitudes ancrées depuis décennies sur leur valeur relative des uns par rapport aux autres : aux emplois de la sphère sociale la plus forte précarité et les rémunérations les plus faibles, aux emplois de la sphère économique la plus grande stabilité et les rémunérations les plus élevées.

Or, les individus et les organisations redécouvrent,

à l’occasion de cette crise sans précédent, l’importance cruciale d’emplois souvent placés en bas de la hiérarchie, comme ceux des aide-soignant(e)s ou des opérateurs(trices) de la logistique, sans lesquel(le)s s’effondrerait la fragile construction sociale de nos sociétés occidentales. La sociologue Dominique Méda a mille fois raison lorsqu’elle affirme avec force1 que cette crise va nous amener à repenser les emplois à l’aune de leur utilité sociale véritable, c’est-à-dire, pour reprendre un langage à la mode sur le thème de la RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise), en fonction de leur contribution à la satisfaction de l’ensemble des parties prenantes. Finis les « bullshit » jobs (jobs à la con) dénoncés il y a deux ans par David Graeber2 y compris à des niveaux élevés de fonction et rémunération et dont l’utilité sociale est proche de zéro !

On peut espérer que les DRH

se saisissent de la formidable opportunité que représente ce « reset » de nos convictions et certitudes pour repenser un certain nombre de leurs pratiques structurantes comme le sont, par exemple, les définitions et les évaluations des fonctions ou des rôles, les process et les critères de recrutement, les modalités du management de la performance et les échelles de rémunérations. Ces pratiques, et bien d’autres, sont en effet susceptibles d’être sérieusement questionnées par les collaborateurs, dans les organisations privées et publiques à l’issue de cette crise, qui auront été les véritables héros de l’ombre au cours de ces longues semaines qui auront profondément marqué les corps et les esprits.

Pour les DRH,

comme pour les responsables d’organisations privées et publiques, il ne s’agit pas, bien évidemment, de prôner ici un renversement total de la hiérarchie des emplois, mais de les amener à prendre sérieusement en considération le poids de l’utilité sociale dans la nécessaire hiérarchisation des emplois. Faute de quoi le discours actuel sur la raison d’être et l’entreprise à mission depuis la loi Pacte de 2019 risque de rester lettre morte avec, comme conséquences, le renforcement du désamour de l’entreprise dans la Société, un engagement encore plus faible des collaborateurs et, surtout, une fuite des talents dont on a cruellement besoin et qui sont de plus en plus sensibles à la cohérence entre les discours et les actes !

(2) Graeber, D. : Bullshit Jobs, Éditions Les Liens qui libèrent, 2018.