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Emploi : Les stagiaires, un vivier à prendre au sérieux

Le point sur | publié le : 23.03.2020 | Audrey Pelé

Quelle entreprise n’a pas de stagiaires dans ses rangs ? Ce jeune qui a soif d’apprendre peut aussi être le futur collaborateur de demain. Une raison pour ne pas prendre à la légère son recrutement.

Longtemps vus comme des supplétifs, voire des touristes dans les entreprises, les stagiaires ont pris de l’importance depuis une dizaine d’années. Il est déjà loin le temps où Génération Précaire, ce collectif de défense lancé en 2005 (et aujourd’hui inactif), attirait l’attention de l’opinion publique sur la précarité et les conditions des stagiaires. Depuis, des avancées législatives ont abouti à la loi de 2014 (loi du 10 juillet 2014 tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires, prévoyant un tuteur obligatoire dans l’entreprise d’accueil, une durée du stage de six mois maximum avec un délai de carence entre deux stages, 15 % de stagiaires maximum dans une société d’au moins 20 salariés, des titres restaurants et des remboursements des frais de transport, etc.).

Les stagiaires de maintenant connaissent leurs droits et sont même « choyés » par les entreprises. La raison ? Ils constituent un « vivier » de candidats en particulier pour les sociétés qui souhaitent se développer ou celles qui sont en forte croissance. « Aujourd’hui, nous constatons que beaucoup d’entreprises intègrent les stagiaires dans leur stratégie de recrutement, notamment pour anticiper un turnover et donc procéder à un renouvellement de leurs collaborateurs. Rien de tel que d’avoir des salariés potentiels en stage pour les former, les tester et voir s’ils conviendront pour un poste avant de les embaucher. D’ailleurs, les contenus des offres de stage sont quasiment des offres d’emploi », décrypte Julien Menut, directeur d’Iquesta, un site spécialisé dans les offres de stages et d’alternance.

Chez Nespresso, la DRH parle de ses stagiaires comme d’une « pépinière » de recrutement. « Chez nous, en boutique ou au siège, il y a 150 stagiaires (sur 1 400 collaborateurs) et, comme les alternants, ils sont potentiellement de futurs collaborateurs, explique Hélène Gemähling. Nous les suivons pendant toute leur mission et nous interrogeons leurs maîtres de stage afin de savoir si la personne conviendrait pour un poste. Certains veulent d’ailleurs rester et le disent ou se montrent intéressés pour revenir chez nous après une année de césure, par exemple. »

Un recrutement simplifié, mais exigeant

Dans ses 130 agences, la compagnie Enterprise, spécialisée dans la location de voitures, accueille elle aussi des stagiaires à bac + 2/+ 3 (et à bac + 5 par ailleurs) et pour Véronique Leboube, la DRH, ils font partie du « sourcing de recrutement ». « À partir du mois d’avril-mai, nous faisons appel à des stagiaires (NDLR : 35 stagiaires au total en 2019 sur 1 000 salariés en France) et nous leur proposons souvent un CDD à la sortie pour faire face à notre pic d’activités estival. Dès l’entretien, nous leur parlons de cette opportunité de prolonger leur expérience opérationnelle. » Car pour recourir à des stagiaires, il faut viser juste et s’adapter aux différents profils : s’agit-il d’un stage de deuxième année de BTS/DUT qui dure huit à dix semaines, un stage obligatoire de six mois pendant les trois années d’une business school, d’une année de césure entre la 4e et 5e année d’études d’un master ?

« La majorité des entreprises cherchent plutôt à prendre des stagiaires en fin d’études pour six mois entre bac + 3 et + 5 avec l’idée de les embaucher ensuite, ajoute Julien Menut. En termes de process de recrutement, elles font comme pour une embauche classique en CDI, mais elles ont mis en place une procédure plus allégée pour ne pas perdre les stagiaires en route. Au lieu de passer cinq entretiens, il y en a généralement deux, l’un avec un RH et l’autre avec un opérationnel. Aujourd’hui, un étudiant qui cherche un stage de fin d’études a beaucoup d’offres à sa disposition et c’est l’entreprise la plus réactive qui remportera la mise. »

Chez Nespresso, on fait appel à des stagiaires en bac + 2 en boutique et en stage de fin d’études pour six mois dans les fonctions support (en 2019, 50 stagiaires en fin d’études ont été embauchés). « Le recrutement de ces jeunes, qui sont vus en entretien par les managers et par leurs futurs maîtres de stage, doit être fait avec beaucoup de professionnalisme, car, potentiellement, il peut y avoir une embauche après le stage, explique Hélène Gemähling, la DRH. D’ailleurs, la question de savoir s’il y a un poste après cette période nous est souvent posée en entretien. » Dans le groupe Gras Savoye Willis Towers Watson, spécialisé dans le courtage d’assurance et de réassurance française et le conseil en capital humain, les stagiaires passent deux entretiens (avec un maître de stage et avec l’équipe recrutement). « Chez nous, il n’y a pas, d’une certaine manière, de différence entre l’embauche d’un stagiaire et celui d’un futur salarié, assure Sandrine Perrien, la responsable Développement RH. Nous attachons de l’importance aux qualités du candidat au stage (qualité de l’expression, motivation, niveau d’études) et à son savoir-être, car nous proposons de véritables missions. Et il peut nous arriver de refuser quelqu’un d’arrogant ou qui manquerait de dynamisme. Mais attention, les jeunes nous recrutent aussi. Ils veulent des missions intéressantes et nous demandent souvent quel est le montant de la rétribution. »

Une gratification galopante

Les recruteurs notent en effet globalement qu’ils sont devenus de plus en plus « regardants » sur les avantages que peut leur procurer le stage. Pour les attirer, certaines entreprises n’hésitent alors pas à gonfler le montant de leur gratification (3,90 euros pour chaque heure de présence effective si la durée du stage est supérieure à deux mois consécutifs). Une étude d’AJStage1 révèle qu’elle s’élève en moyenne à 686 euros par mois, mais le montant peut s’envoler pour les profils les plus recherchés. Dans le groupe Gras Savoye, un stagiaire à bac + 5 perçoit une rétribution comprise entre 1 200 et 1 400 euros mensuels et un bac + 5 en actuariat/formation doctorat reçoit entre 1 500 et 1 800 euros. « Nous avons revu nos grilles de tarification des stagiaires. Nous savons que les jeunes ont beaucoup de propositions de stage avec des missions très intéressantes et si nous voulons attirer les meilleurs, il faut notamment leur offrir une meilleure rétribution », assure Sandrine Perrien.

Chez Enterprise, les stagiaires ont accès aux mêmes outils de mesure de la performance que les salariés comme les indicateurs (taux de ventes, qualité du service client, etc.) et peuvent toucher les mêmes primes qu’eux. Outre les rétributions, certaines sociétés offrent à leurs stagiaires l’accès à leur CSE, à des espaces de coworking, la possibilité de participer à des événements internes, etc. « Les entreprises leur proposent un maximum d’avantages pour qu’ils se sentent intégrés comme des membres à part entière dans les équipes et, par là même, leur donner envie de rester. Mais attention, il ne faut pas oublier qu’un stagiaire n’est juridiquement pas un salarié », rajoute le fondateur d’Iquesta. Et la loi est claire. En cas de non-respect des règles d’encadrement des stages, l’employeur encourt une amende pouvant aller jusqu’à 2 000 euros par stagiaire concerné et jusqu’à 4 000 euros en cas de nouvelle infraction dans l’année qui suit la notification de la première amende. De quoi inciter les RH à prendre les stagiaires plus qu’à la légère.

(1) Étude réalisée auprès de 1 200 personnes par le cabinet AJStage. Chiffres 2019.

Auteur

  • Audrey Pelé