Dans leur ouvrage Former avec la réalité virtuelle, Émilie Gobin-Mignot et Bertrand Wolff analysent avec Noémie Kempf la façon dont les techniques immersives bousculent l’apprentissage.
La réalité virtuelle est un média d’un nouveau genre. On parle souvent de « vivre une expérience en VR », car elle est fondamentalement expérientielle. Cette caractéristique la rend particulièrement appropriée à l’univers de la formation, puisqu’elle capte naturellement l’attention des apprenants, renforçant ainsi l’impact et l’ancrage des apprentissages. Les résultats d’une expérience menée sur des lycéens de Beijing, ayant suivi une formation sur les lois de la gravitation et l’aérospatiale – un groupe ayant suivi la leçon en présentiel et l’autre en réalité virtuelle – le démontrent. Après un test pour restituer les connaissances acquises, les résultats révèlent une performance 27,4 % supérieure avec la réalité virtuelle. L’étude a également montré que tous les jeunes, indépendamment de leur niveau scolaire, faisaient plus de progrès via l’apprentissage en VR. Le score moyen des élèves considérés comme faibles en termes de niveau scolaire était meilleur que le score moyen des bons élèves passés par le cours traditionnel.
Chaque apprenant intègre les concepts transmis à son rythme et à sa façon. D’où une plus grande flexibilité. Mais nous insistons sur le fait que la VR permet d’apprendre où l’on veut, quand on veut. Il suffit d’avoir un masque pour lancer un programme et s’entraîner à la prise de parole, par exemple. La formation peut avoir lieu chez soi – comme pour l’e-learning –, mais à la différence de l’e-learning, elle reste immersive et plus engageante. Plus flexible, le format VR peut être utilisé dans de nombreux contextes.
La VR demande un investissement initial pour acquérir et installer du matériel, incluant masques, programmes, serveurs, et pour recruter des facilitateurs. Mais les programmes de formation peuvent être très aisément déployés au sein de l’entreprise. Cet investissement de départ peut être considérablement réduit en louant le matériel et surtout en utilisant des contenus sur étagère qui permettent de tester rapidement et à moindre coût la puissance de la VR et l’appétence des formateurs et collaborateurs à cette nouvelle technologie. Nous avons mis sur pied un catalogue de plus de 100 formations ou briques formatives en VR sur étagère, qui permet aux entreprises de déployer rapidement des modules sur la cybersécurité, la prise de parole en public, la sensibilisation aux risques psychosociaux, la prévention des risques santé-sécurité… Concernant le retour sur investissement, on parle de gain de temps, donc d’argent. À cela nous ajoutons la notion de return on impossible (ROI), le fait d’être capable de se former sans danger, dans des lieux ou situations impossibles dans la vraie vie. Par exemple, dans certaines agences d’intérim, on n’envoie plus les collaborateurs sur les chantiers avant qu’ils n’aient eu un certain score dans les exercices de chasse aux risques, ce qui permet de réduire les accidents, et donc diminue considérablement les coûts humains, mais aussi financiers (arrêt du chantier, etc.). D’autres modules affichent également de beaux ROI, par exemple les formations de commerciaux qui durent quatre fois moins longtemps, pour un coût jusqu’à cinq fois inférieur.
Tout ce qui touche aux gestes techniques – simulateurs de vol, de peinture, de menuiserie, utilisation d’instruments chirurgicaux – est particulièrement adapté à la formation en réalité virtuelle. La VR permet aussi de faire visiter des endroits dangereux ou difficilement accessibles pour former le personnel au secours ou à la maintenance. Toutes les formations liées à la sécurité gagnent à y recourir : un militaire, un policier, un informaticien, un ouvrier peuvent se mettre en danger en VR sans conséquence. Par exemple, Air France entraîne son personnel navigant aux amerrissages en réalité virtuelle : il s’agit là d’une formation impossible à reproduire dans la vie réelle, à moins de couler un avion. La VR ne remplacera jamais le réel, mais elle permet de le « booster » et d’aller au-delà, car elle libère du risque. Des secteurs d’activité variés s’y intéressent, des transports à la restauration en passant par le conseil.
En plongeant les apprenants dans un univers, mais également dans une situation bien particulière (comme la prise de parole ou la conduite de réunion), la VR permet aux formateurs de travailler graduellement les soft skills de chaque apprenant. Historiquement, le travail des compétences comportementales exigeait de la formation en présentiel indispensable pour l’apprentissage de pair à pair, le mentorat, les expériences de team building, le coaching… La réalité virtuelle permet de reproduire ces modalités et d’aller plus loin. Couplée à des technologies comme l’intelligence artificielle, elle permet de mettre en place des dispositifs interactifs (avec des pairs virtuels ou réels). Elle intègre aussi un système de retour d’expérience, souvent grâce à un coach accompagnant la séance hors du masque de réalité virtuelle. Ainsi, les bénéfices du présentiel sont enrichis d’une flexibilité dans l’expérience apprenante et en intégrant tous les avantages du digital.
La VR suscite parfois l’appréhension. Certains apprenants ont peur de tomber malades, d’avoir mal à la tête, de se sentir isolés. Ces inconvénients ont été largement éradiqués par l’amélioration du confort des casques et la qualité des expériences. En outre, l’outil ne s’utilise pas forcément en solo. À l’ère de la VR sociale, vous interagissez avec des avatars et parfois avec d’autres apprenants. Nous préconisons aussi l’échange entre pairs à la suite de l’expérimentation de la réalité virtuelle, pour ancrer l’expérience dans du concret. Cela dit, la VR est déconseillée aux personnes souffrant d’épilepsie, de troubles de la personnalité, de problèmes d’oreille interne.
La VR n’est pas une menace car elle ne se substitue pas au présentiel : elle vient enrichir l’expérience apprenante et son impact est maximisé lorsque l’expérience immersive est complétée par un temps d’échanges en présentiel, avec des pairs ou avec le formateur, pour ancrer plus efficacement les apprentissages acquis durant l’immersion. La VR ne se suffit à elle-même que dans des cas très particuliers, comme l’entraînement à des gestes, argumentaires répétitifs ou pour faire de l’évaluation. Elle pourrait cependant remplacer progressivement l’apprentissage en ligne, qui a déjà commencé à montrer ses limites, comme on le voit avec le fort taux d’abandon avant terme des Mooc.
Le marché est en plein essor. Aux États-Unis, le géant de la distribution Walmart avait annoncé en septembre 2018 un objectif ambitieux : former un million de salariés en 2019 grâce à la réalité virtuelle. Pour soutenir ce projet, 45 formations immersives ont été créées et mises à disposition des employés, ainsi que 17 000 masques, dans 4 700 magasins sur le territoire américain. Ainsi équipé, chaque magasin est devenu un centre de formation décentralisé, ce qui a fluidifié l’organisation des sessions.
Diplômé du Celsa Paris-Sorbonne avec une maîtrise en marketing et publicité, Bertrand Wolff a commencé sa carrière en travaillant pour Ogilvy, Omnicom et Dentsu et a pris ensuite la tête du Kabo Studio, une société spécialisée dans l’entertainment. Il y découvre le potentiel de la réalité virtuelle et y rencontre Émilie Gobin-Mignot, à laquelle il s’associe pour co-créer Antilogy et Le Pavillon.
Après des études à HEC, Émilie Gobin-Mignot fonde en 2009 L’Usine à Design, une startup pionnière dans l’e-commerce, s’appuyant notamment sur la réalité augmentée. Son parcours l’amène ensuite chez l’accélérateur de startups NUMA, et rejoint Kabo, où elle rencontre Bertrand Wolff avec qui elle décide de s’associer pour révolutionner l’univers de la formation grâce à la réalité virtuelle.
Consultante indépendante spécialisée sur les sujets de stratégie et de content marketing, Noémie Kempf intervient dans les nouvelles technologies, l’innovation et l’entrepreneuriat. Elle enseigne également le marketing dans plusieurs écoles et universités en France.