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Le grand entretien

« L’accueil des personnes handicapées est l’affaire de tous »

Le grand entretien | publié le : 16.03.2020 | Frédéric Brillet

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« L’accueil des personnes handicapées est l’affaire de tous »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans l’ouvrage collectif Emploi et handicap : de la culture de la RSE à l’émergence de nouvelles formes de travail, publié chez ESF sous la direction de Karine Gros et Gérard Lefranc, les auteurs montrent que la prise en compte du handicap peut servir de catalyseur à la responsabilité sociétale des entreprises et impacter les modes de management et l’environnement de travail.

Qu’est-ce qui a changé cette dernière décennie dans la manière dont les employeurs appréhendent le handicap ?

Poussées par les évolutions législatives, sociétales et managériales, les entreprises ont appris à regarder au-delà de leur écosystème immédiat. Elles ont mis en place des référents handicap, travaillé pour obtenir le label handicap décerné à celles qui ont une politique globale sur ce sujet. Elles ont compris que les salariés concernés pouvaient eux aussi contribuer à leur compétitivité et appris à accorder moins d’importance aux diplômes et aux apparences et davantage aux compétences dans leurs processus de recrutement… La reconnaissance des personnes handicapées a aussi été favorisée par un questionnement plus intense sur le sens qu’elles donnent à leurs actions, à leur gestion de la diversité, à la problématique environnementale. Au niveau managérial, les organisations modernes misent sur l’agilité et de nouveaux outils de travail, ce qui permet aux salariés différents de trouver leur place dans le collectif. Tous ces facteurs ont contribué à changer le regard des employeurs sur le handicap.

Comment en sens inverse a évolué la perception qu’ont les personnes handicapées du monde de l’entreprise ?

Longtemps, le monde de l’entreprise a été perçu comme éloigné et anxiogène. Mais la loi du 11 février 2005 a commencé à changer la donne. Ce texte réinscrit la personne handicapée dans un environnement – social, sociétal, scolaire, universitaire, professionnel, culturel… – et l’intronise acteur d’un projet que l’entreprise doit accompagner jusqu’à l’emploi. Au-delà de cette loi, de nouveaux dispositifs – emploi accompagné, CDD tremplin –, les associations de personnes handicapées et le monde éducatif ont incité les personnes concernées à se tourner davantage vers les entreprises.

D’autres lois et plus généralement les politiques publiques ont œuvré aussi en ce sens…

Depuis quelques années, les lois sur la formation professionnelle et la refonte de l’obligation d’emploi des personnes handicapées, l’engagement gouvernemental, les actions menées par le Comité interministériel du handicap (CIH), le rattachement du secrétariat d’État au Premier ministre, la mise en place d’un réseau de Hauts commissaires du handicap dans chaque ministère, encouragent effectivement l’emploi des personnes handicapées. L’esprit de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour « la liberté de choisir son avenir professionnel » est de remobiliser les employeurs vers l’emploi direct et la formation tout en simplifiant les démarches administratives. Ce qui change notamment à partir du 1er janvier 2020, c’est la façon dont les entreprises concernées remplissent l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés.

Quel rôle a joué la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) ?

La RSE positionne d’abord l’entreprise comme un acteur responsable dans le tissu économique et social, qui doit donc se montrer favorable à l’emploi des personnes handicapées. Elle a la vertu d’amener l’employeur à montrer concrètement comment les choses se mettent en place, de permettre la vérification de la réalité de ses engagements. Elle permet finalement de sortir de l’incantatoire et encourage des modes de management et un environnement plus favorables aux personnes en situation de handicap. La mise en œuvre d’une organisation flexible permet aussi de mieux prendre en compte les différences et de mobiliser de façon plus agile l’ensemble des salariés. La mise en place du télétravail, favorable aux personnes à mobilité réduite, va également en ce sens. Les modes de management ont changé car les managers, certes, conservent leurs obligations mais prennent aussi en compte la diversité des besoins et des personnes. Thales a mis ainsi en place des aménagements de modes de travail pour des salariés qui accompagnent leur enfant, conjoint ou parent en situation de handicap.

Ces avancées se traduisent-elles dans les chiffres ?

Si l’on intègre la sous-traitance au secteur protégé, les entreprises privées affichent en moyenne un taux d’emploi de personnes handicapées de l’ordre de 4,5 %, soit un chiffre inférieur au minimum qu’impose la loi de 2005 (6 %). Mais en se focalisant sur l’emploi direct, la loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » redessine les enjeux et fait émerger des leviers pour un meilleur accès des jeunes à l’apprentissage, pour la création de passerelles entre le milieu protégé et le milieu ordinaire.

Comment certains employeurs parviennent-ils à faire mieux que le minimum légal ?

Plusieurs facteurs expliquent que certaines entreprises « surperforment ». C’est d’abord affaire d’engagement et d’état d’esprit : l’implication dans la formation des personnes handicapées, une approche favorable à l’accueil des personnes handicapées qui en fait l’affaire de tous et non le domaine réservé des ressources humaines jouent à cet égard un rôle important, tout comme la désignation d’un référent en matière de handicap dans les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire. Encore faut-il que ce référent soit qualifié : les entreprises qui parviennent à intégrer davantage de travailleurs handicapés se donnent donc en amont les moyens de professionnaliser leurs référents. Cette professionnalisation peut s’effectuer dans le cadre d’un cursus universitaire sanctionné par un diplôme.

Finalement, qu’est-ce qui freine le plus l’insertion professionnelle des personnes handicapées ?

Comme l’a montré Adrien Taquet dans son rapport parlementaire de 2018, les personnes handicapées en quête d’emploi ont longtemps pâti de devoir suivre un parcours compliqué sur lequel intervenaient conjointement de nombreuses structures : Pôle emploi, Cap emploi qui les assiste dans leur recherche, la Maison départementale des personnes handicapées, le monde professionnel… Les récentes lois, le rapprochement de Pôle emploi et de Cap emploi, la simplification de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, et sa pérennisation lorsque le handicap est définitif, lèvent ces freins. De même, la plateforme d’informations coordonnée par la Caisse des dépôts, la mise en œuvre et la définition de l’offre de services par les services publics de l’emploi renforcent les liens entre employeurs et candidats. La situation des personnes handicapées dans le monde du travail est loin d’être parfaite mais elle s’améliore.

Parcours

Agrégée de lettres, Karine Gros est maître de conférences en Sciences humaines-littérature – Handicap et emploi. Elle coordonne une équipe pluridisciplinaire d’experts avec laquelle elle développe des projets de formation et de recherche dans le domaine de l’insertion des personnes handicapées. Coresponsable du diplôme inter-universitaire (DIU) « Référent handicap, secteur public, secteur privé », elle est en charge de la création de la chaire « Handicap, autonomie, emploi et santé au travail » de l’université de Paris-Est-Créteil. Elle est membre en tant que personne qualifiée au Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).

Directeur mission insertion chez Thales, Gérard Lefranc a participé dans le cadre de la commission Emploi et formation aux concertations relatives aux modifications législatives concernant l’obligation d’emploi des personnes handicapées ainsi qu’à la définition de l’offre de services associée. Membre de la commission Accessibilité de l’Afnor, il a été l’initiateur de la norme « Organisme handi-accueillant ». Il est membre en tant que personne qualifiée au CNCPH et personne qualifiée au Comité national du fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP).

Auteur

  • Frédéric Brillet