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Le fait de la semaine

Conjoncture : Le Covid-19 s’attaque aussi aux entreprises

Le fait de la semaine | publié le : 09.03.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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Conjoncture : Le Covid-19 s’attaque aussi aux entreprises

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Face à la baisse d’activité dans plusieurs secteurs, le gouvernement lance des mesures de soutien et soulève la question de la relocalisation de la production industrielle.

De menace lointaine et sanitaire, le coronavirus Covid-19 commence à impacter aussi l’économie. Les annulations d’événements se multiplient – outre le salon Livre Paris et le Salon de l’auto de Genève, le salon Solutions RH –, le secteur du tourisme a vu fondre son activité et ceux dépendant des importations en provenance de Chine commencent à entrer en zone rouge. C’est le cas notamment de l’électronique. Chez Estelec Industrie, un fabricant de composants destinés à l’industrie installé en Alsace, le constat ne fait aucun doute. « La Chine assure 70 % de la production mondiale de PCB1 et au moins 50 % de celles des autres composants : puces, circuits imprimés, résistances, condensateurs, etc. », rappelle Thierry Sublon, directeur associé et cogérant. Il indique que ses propres fournisseurs sont déjà passés dans un mode très restrictif dit « allocation sévère », autrement dit : ils prennent les commandes, mais ne garantissent plus ni la date de livraison ni le prix… « Nous n’aurons sans doute pas tout ce que nous avons demandé et le coût sera multiplié par trois ou quatre, assure l’industriel. Les clients finaux seront devant une alternative simple : soit accepter ce surcoût, soit courir le risque de devoir interrompre leur production. »

La situation a poussé les entreprises à sonner le tocsin. À la mi-février, François Asselin, président de la CPME, émettait déjà un sombre pronostic : « Sur le plan économique, j’ai peur qu’il y ait beaucoup de victimes parmi les entreprises. » L’enquête menée par cette organisation entre le 27 février et le 3 mars auprès de 940 chefs d’entreprise a renforcé les craintes. Elle établit que 53 % des entreprises dont l’activité dépend du secteur touristique ont vu fléchir leur chiffre d’affaires. Plus de la moitié (54 %) des entreprises exportant vers les zones infectées rencontrent des difficultés tandis que 39 % de celles important des marchandises en provenance de ces mêmes pays ont des problèmes d’approvisionnement. L’inquiétude des dirigeants a grandi en proportion. Alors que 51 % d’entre eux étaient inquiets fin février, cette proportion a grimpé à 68 % début mars.

Mesures de soutien

Côté gouvernemental, la mobilisation a suivi un crescendo continu. L’exécutif a d’abord mis en place des mesures de soutien (étalement de charges ou dispositifs d’activité partielle) avant le passage en phase 2 de la lutte contre le virus. Fin février, un palier était franchi puisque le Covid-19 a été déclaré « cas de force majeure » pour les entreprises dont l’activité se déroule dans le cadre d’un marché public. Selon François Asselin, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a aussi fait passer un message auprès des grands groupes privés afin qu’ils n’appliquent pas de pénalités à leurs fournisseurs en cas de retard de livraison. La semaine dernière, cet appui a été renforcé avec l’activation de la cellule économique qui permet au ministère de l’Économie de gérer en temps réel l’impact de l’épidémie avec les secteurs concernés. C’est cette même cellule qui avait été activée lors de la crise des « gilets jaunes » et pendant l’épidémie de grippe H1N1 survenue en 2009. Enfin, Bpifrance a été mobilisé pour garantir les prêts que les PME seraient amenées à souscrire pour éviter les trous de trésorerie. Ces entreprises pourront aussi faire appel à la médiation du crédit pour rééchelonner leurs échéanciers.

Des mesures pour les travailleurs indépendants vont aussi être mises en œuvre, indique Sophie Duprez (CPME), présidente de l’assemblée générale du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI) : « La CPSTI dispose d’un fonds d’action sociale capable de soutenir financièrement les travailleurs indépendants en reportant le règlement de leurs cotisations Urssaf. Nous l’avons déjà mobilisé au service des commerçants et artisans atteints par la crise des gilets jaunes, nous le mobiliserons pour ceux touchés par les conséquences du Coronavirus. Ce fonds existait déjà à l’époque du RSI, mais il était complexe d’utilisation pour les indépendants puisque c’était à eux de se déplacer pour en faire la demande. Maintenant que le RSI a été remplacé par la SSI (Sécurité sociale des indépendants), c’est directement l’Urssaf qui peut aller à leur rencontre. »

Chaîne logistique

Les pouvoirs publics se veulent rassurants. Nicolas Dufourcq, le président de Bpifrance, a ainsi indiqué ne pas observer « de remontées alarmantes ou alarmistes » de la part des PME. Pour éviter un trou d’air, il table sur un redémarrage avant fin mars du secteur de la logistique et du transport maritime. Un volontarisme que ne partage pas totalement Thierry Sublon : « Peu de bateaux sont disposés à se rendre en Chine et les Chinois font venir en priorité les matières premières. Si la chaîne logistique n’est pas en activité en avril, il y aura un vrai problème. » Compte tenu des enjeux, Bruno Le Maire voit dans les effets du Covid-19 un motif pour accélérer la réindustrialisation : « Il faut tirer les conséquences de long terme du coronavirus en relocalisant certaines activités stratégiques en France ou en Europe, comme la production des principes actifs pharmaceutiques. C’est une question de souveraineté pour notre pays. » Une perspective logique, mais qui risque de se heurter à un obstacle de taille. Les montants en jeu sont en effet conséquents, rappelle Thierry Sublon : « Les investissements nécessaires pour produire certains composants sont si élevés qu’il existe deux ou trois usines dans le monde et elles sont toutes en Chine. » De quoi, peut-être, relancer une coopération industrielle européenne qui n’a plus de projet porteur depuis Airbus.

L’analyse de Lætitia Ternisien, avocate du cabinet Jeantet
Un cas de rupture du contrat de travail ?

« Les CDD sont plus exposés à une rupture de contrat de travail pour force majeure, mais la situation devra atteindre un niveau dramatique pour que les employeurs arrivent à cette extrémité. La baisse d’activité ne peut pas justifier la rupture du contrat de travail. Sauf exception, c’est l’arrêt total de l’activité qui peut justifier une rupture du contrat. Dans une décision du 12 février 2003, la chambre sociale de la Cour de cassation a invalidé la rupture des contrats de travail de personnes travaillant pour un village hôtel partiellement détruit par un cyclone en indiquant qu’il ne s’agissait pas d’un cas de force majeure puisque l’activité n’était pas totalement arrêtée. C’est cette décision qui a fixé les critères utilisés encore aujourd’hui (externalité, imprévisibilité et irrésistibilité) pour déterminer s’il s’agit d’un cas de force majeure. Dès lors, les entreprises devront prouver que l’épidémie rend impossible la poursuite de l’activité. »

(1) Printed circuit board, les plaques sur lesquelles sont gravés les circuits imprimés et soudés les composants.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins