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Nathie Nakarat, Jean Pralong : L’expertise du lab RH

Chroniques | publié le : 09.03.2020 | Nathie Nakarat, Jean Pralong

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Nathie Nakarat, Jean Pralong : L’expertise du lab RH

Crédit photo Nathie Nakarat, Jean Pralong

Quand la carrière est en crise, la mobilité des cadres balbutie

Alors que les discours sur l’évolution imprévisible des métiers

et sur l’importance de la mobilité sont partout, comment évoluent les envies des cadres et leurs parcours effectifs ? Et que devient la carrière managériale, traditionnellement associée à l’identité des cadres ? Pour répondre à ces questions, entre autres, la chaire Compétences, employabilité et décision RH de l’EM Normandie interroge deux fois par an un panel de près de 56 000 cadres. Quelques résultats et quelques commentaires.

Dans les faits, les organisations ont réduit leurs effectifs,

drastiquement réduit les couches hiérarchiques et ont, par ailleurs, créé des emplois qui ne sont pas liés à des responsabilités managériales. De moins en moins de postes de managers sont donc à pourvoir. Et pourtant, une majorité de cadres espère que son prochain poste lui permettra de « prendre plus de responsabilités managériales » (67 %). Pourquoi ? Pour « gagner en revenus » (43 %), mais, surtout, « pour évoluer vers des postes de direction » (57 %), « par goût du challenge » (76 %) et « pour le prestige de ce type d’emploi » (54 %), nettement plus que « par goût du management » (32 %) et « pour exercer mes talents de manager » (23 %).

Tout se passe comme si les cadres aspiraient à manager plus

sans avoir ni intérêt ni goût pour le management. Les cadres se représentent toujours la carrière idéale comme l’élévation parallèle des responsabilités managériales, des revenus et, finalement, du statut. Et ce résultat est une constante depuis nos premières collectes de données, en 2006. La carrière traditionnelle s’est raréfiée, mais elle n’a disparu ni dans les faits ni dans les espoirs. Parce qu’elle est lisible pour les recruteurs, pour les revenus qu’elle apporte et par le prestige qu’on lui accorde toujours, elle est une norme puissante. Et plus les opportunités d’emploi se diversifient, plus la carrière managériale fait de la résistance : elle est la valeur sûre. Ce n’est pas moins vrai chez les jeunes (les résultats ci-dessus ne changent pas selon l’âge ou les générations). Pour eux, l’investissement dans les études doit rapporter une carrière de cadre avant même une satisfaction intellectuelle ou professionnelle. Reste que peu de cadres ont le goût, les aptitudes et les compétences pour manager. Reste, aussi, que les emplois de managers sont les plus délicats à occuper1.

Si la mobilité balbutie,

c’est d’abord parce que la carrière est en crise : plus la carrière managériale se raréfie, plus elle devient prestigieuse et plus elle attire pour de mauvaises raisons. Comment lutter contre cette dérive pour, pragmatiquement, recruter sans créer de frustrations ? Une clé évidente est sans doute de mettre au centre du jeu la capacité des individus à réussir et, donc, les compétences et leur transférabilité. Valider la mobilité d’un salarié, c’est identifier les décalages cognitifs et comportementaux entre l’ancien et le nouveau poste. C’est estimer que ces décalages sont faibles et qu’un plan d’actions portant spécifiquement sur ces aspects peut suffire à les résorber. La mobilité réussie est celle qui permet à l’individu de performer et de lui donner le sentiment de réussir. Reste bien sûr à définir ce que « réussir » veut dire, car l’acception du terme pourra autant conserver les mêmes biais qui associeraient réussite avec prestige, transférabilité avec échelle hiérarchique. Si la base de la solution repose sur des mesures qualifiables et quantifiables que sont les compétences, on ne se passera pas de revenir à l’analyse des essentiels de l’engagement du salarié afin que la mobilité devienne pour lui l’assurance d’un plus grand alignement bien sûr avec ses compétences, mais aussi avec son ensemble de valeurs, de motivations, de centres d’intérêt qui, eux, lui permettront réellement de réussir, c’est-à-dire d’atteindre les objectifs professionnels et personnels de son nouveau poste.

(1) Jean-Philippe Bouilloud, « Entre l’enclume et le marteau, les cadres pris au piège » (Éditions du Seuil).

Auteur

  • Nathie Nakarat, Jean Pralong