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RSE : Salariés et aidants : jusqu’où l’entreprise peut aller ?

Le point sur | publié le : 24.02.2020 | Judith Chétrit

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RSE : Salariés et aidants : jusqu’où l’entreprise peut aller ?

Crédit photo Judith Chétrit

Le soutien aux proches malades ou dépendants pourrait intégrer les thèmes de NAO, et quelques entreprises explorent des pistes d’aide aux collaborateurs concernés, souvent menacés d’épuisement. Alors que les salariés soutenant leurs proches devraient atteindre le quart des effectifs dans une décennie, la mise en œuvre de dispositifs d’accompagnement doit s’intensifier.

Pendant cinq ans et demi, Alexandra, une cadre formatrice dans le secteur bancaire, a ajouté à ses nombreux déplacements de travail les allers-retours à l’hôpital, les rendez-vous médicaux, le recrutement et l’organisation des venues des auxiliaires de vie à domicile, les imprévus et les différentes démarches administratives et financières. Elle était l’aidante principale de sa mère atteinte de la maladie de Parkinson. Sauf qu’il est difficile de contenir au travail les appels angoissés et la fatigue et la nervosité gagnent son quotidien : après un arrêt maladie de six mois pour épuisement en 2015, Alexandra revient travailler en mi-temps thérapeutique et un nouveau poste de chargée de réclamations qu’elle vit comme une « mise au placard professionnelle ». Ce qui la conduit à alterner ensuite avec des congés proche aidant et création d’entreprise non rémunérés jusqu’au décès de sa mère à l’été 2018.

Aujourd’hui, cette quadragénaire regrette qu’au-delà de son manager, les RH, la médecine du travail et les assistantes sociales aient eu du mal à l’informer et l’accompagner. « Oui, on a besoin de parler mais on ne veut pas être confiné à ce rôle. Nous développons aussi des compétences organisationnelles et d’écoute pendant cette période-là. » Comme elle, c’est surtout la souplesse dans l’organisation du travail que cherchent un grand nombre d’aidants actifs – dont le nombre est estimé entre 4 et 5 millions en France. Même si la stratégie gouvernementale de mobilisation et de soutien des proches aidants compte intégrer la thématique des aidants dans les négociations obligatoires et les critères de la RSE du fait du vieillissement de la population, la reconnaissance reste longue du côté des entreprises. D’abord, parce que ce sujet recouvre autant la vie personnelle que professionnelle : seulement un tiers de ceux qui se reconnaissent comme « aidants » en ont parlé avec leur supérieur hiérarchique, d’après une enquête Malakoff-Médéric. La prise de RTT et de congés payés reste la norme et ne nécessite pas d’explication particulière. Être aidant est une situation, non un statut. Ce qui explique pourquoi très peu d’entreprises parviennent à identifier et quantifier le nombre de salariés affectés par le handicap, la maladie ou la perte d’autonomie de leurs parents, enfants ou conjoints. Si bien que c’est souvent a posteriori, après des absences récurrentes ou longues, voire une démotivation et des erreurs, que le sujet arrive aux RH.

Des besoins d’information

Pourtant, sans attendre 2030 où il est estimé qu’un quart de travailleurs seront aussi des aidants, certaines entreprises ont commencé à prendre les devants pour aider leurs salariés, notamment les femmes, surreprésentées dans cette population, à concilier leurs contraintes personnelles avec l’exercice de leur activité. Le prix Entreprise et salariés aidants a déjà agrégé plus de 35 bonnes pratiques qui font aussi prendre conscience de l’hétérogénéité de la population aidante dont la situation est loin d’être figée dans le temps. Surtout en place dans les grands groupes, plusieurs leviers ont été mobilisés. En transmettant plus d’informations aux équipes, l’objectif est de dépasser la pudeur et les tabous entourant le sujet. Et les dizaines d’heures éventuelles passées sur l’ordinateur ou au téléphone pour tout comprendre.

Il y a dix ans, le groupe Casino a commencé à organiser des conférences mensuelles et des groupes de parole animés par une psychologue. D’autres ont diffusé des dépliants qui recensent les aides financières existantes ou les contacts d’associations expertes. Une filiale du groupe La Poste, Domiserve, offre une plateforme d’accompagnement personnalisé aux aidants. Un guichet aidant familial a également attribué environ 3 000 certificats d’aidants depuis 2017 « pour avoir droit à des prestations sociales supplémentaires du comité des œuvres sociales », détaille Laurence Hulin, directrice diversité et égalité des chances. Elle projette que trois à cinq fois plus de personnes pourraient en demander l’octroi et disposer ainsi par exemple d’un accès prioritaire à un village vacances séjour accompagné ou une autorisation spéciale d’absence de trois jours pour effectuer des démarches administratives et médicales.

Une rémunération jugée insuffisante

Alors qu’un aidant sur quatre peut passer au moins 20 heures par semaine avec son proche en plus de sa profession, la prise de congés de solidarité familiale, de présence parentale ou de proche aidant reste encore très peu plébiscitée. « Nous savons que, si les salariés ne prennent pas ces congés, c’est parce qu’ils en jugent la rémunération insuffisante », relève Nathalie Gloaguen, chargée de mission au secrétariat des Groupements d’employeurs des industries électriques et gazières. Alors que le congé proche aidant devrait prochainement donner lieu à un versement de la CAF à hauteur de 40 à 50 euros par jour dès octobre 2020, les entreprises de la branche assurent ainsi depuis 2018 un paiement complémentaire des allocations à hauteur de 80 % du salaire net pour les autres congés de présence parentale ou de solidarité familiale, soit plus d’une quarantaine de dossiers déjà traités à ce jour.

L’aménagement des horaires, le don de RTT, des CESU préfinancés pour des prestations d’aide à domicile, la conversion du treizième mois en congés fractionnables ou le recours accru au télétravail sont d’autres points d’entrée. En introduisant un congé aidant familial en 2013 avec maintien de rémunération d’une durée moyenne de huit jours, Casino a observé que sa démarche avait facilité le déclaratif de la part d’aidants en CDI auprès des services. « On a relancé une campagne de communication il y a trois ans. On adresse un courrier de remerciement à chaque attribution. Avec un périmètre tel que le nôtre, ce n’est pas facile d’arriver à toucher toutes les personnes », note Séverine Amargier à la direction de la promotion de la diversité et de la solidarité du groupe. Après avoir fourni un certificat médical indiquant l’affection longue durée d’un proche, 70 salariés en ont bénéficié en 2019 contre 39 en 2014. À la Matmut, où près de 65 % des 6 000 salariés sont des femmes, un fonds de solidarité « de plusieurs centaines de jours », voté à l’unanimité par les syndicats, agrège des dons de collaborateurs provenant de leur compte épargne temps avec un abondement de l’employeur de 20 %. « Nous avons des demandes quasiment hebdomadaires », souligne George Gavagnach, coordinateur de la mission handicap qui note que ces sollicitations interviennent « dans un second temps, après la demande de dérogations horaires auprès des managers ». Reste que les disparités parmi les aidants se superposent aux disparités de moyens entre les entreprises : les TPE et les PME restent encore à la traîne, faute de motivation des responsables, de l’existence de solutions alternatives pour remplacer les aidants ou de financements fléchés facilitant la reconduction de dispositifs.

Auteur

  • Judith Chétrit