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Le fait de la semaine

Carrières : L’avenir incertain de l’entretien professionnel

Le fait de la semaine | publié le : 24.02.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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Carrières : L’avenir incertain de l’entretien professionnel

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Le premier bilan de l’entretien professionnel né en 2014 ravive les tensions autour d’un dispositif qui crée une obligation de l’entreprise vis-à-vis de chaque salarié.

L’entretien professionnel a six ans. Pas encore l’âge de raison mais déjà celui d’un premier bilan, comme prévu par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle qui l’a institué. La loi prévoyait une date butoir en mars 2020 mais, à la demande de la CPME, le gouvernement a repoussé l’échéance à la fin de l’année. Consacré aux perspectives d’évolution professionnelle du salarié, notamment en termes de qualifications et d’emploi, l’entretien professionnel suscite des appréciations contrastées. La CFDT y voit « un élément pivot du changement de l’organisation de la formation professionnelle ». Pour Yvan Ricordeau, secrétaire national : « La réforme de 2014 marque une rupture, que la CFDT assume, et un passage de l’obligation fiscale à l’obligation sociale puisqu’il s’agit d’un modèle qui doit permettre à tous les salariés de s’inscrire dans un développement de compétences. » À ses yeux, « l’enjeu clé [est] de voir comment cette obligation sociale sera plus intéressante en termes d’égalité entre salariés vis-à-vis de la formation professionnelle. »

Entreprises proactives

D’autres pointent les limites du système. Michel Beaugas, secrétaire confédéral de FO, relève que la qualité des entretiens varie selon la taille des entreprises et que les perspectives d’évolution dans les PME restent faibles. Il relève aussi une tendance dans les petites entreprises à confondre adaptation au poste de travail et formation professionnelle. « La principale difficulté du dispositif, c’est qu’il faut des entreprises proactives or, la plupart du temps, quand un salarié part en formation, elles pensent qu’il faudra le remplacer par un autre et elles craignent que le travail soit de moins bonne qualité, ajoute le dirigeant de FO. Cela les fait hésiter. »

Vanessa Jereb, secrétaire générale adjointe de l’UNSA, souligne une autre faiblesse du dispositif, en l’occurrence la dépendance de l’entretien professionnel à l’égard de la stratégie des entreprises : « Cette difficulté des entreprises à se projeter ne vide pas l’entretien professionnel de son intérêt mais soulève la question de la façon dont elles expliquent leur stratégie à leurs salariés. Cette explication de la stratégie doit passer par les RH mais aussi par les managers car ils ont en charge la cohésion des équipes. Elle permettrait de faciliter la projection du salarié dans le futur de l’entreprise. Mais aujourd’hui, les entreprises ne chargent pas les RH de communiquer sur la stratégie des entreprises. » Au titre des curiosités du dispositif, elle note l’obligation d’évoquer le CEP durant cet échange avec le salarié : « Cela peut paraître contradictoire car c’est une rencontre pour évoquer le développement du salarié dans l’entreprise. »

Comment, par ailleurs, procéder à une réelle vérification ? Pour Jean-Luc Molins, secrétaire national de l’Ugict-CGT, cela relève de la gageure compte tenu du manque de moyens de l’inspection du travail. Un argument auquel Yvan Ricordeau oppose l’action des représentants du personnel dans les CSE : « Nos mandatés dans les entreprises vont poser des questions au CSE et communiquer auprès des salariés pour savoir qui a eu, ou pas, un entretien professionnel. » Il en appelle aussi à la responsabilité du salarié : « S’il constate l’absence d’entretien professionnel, il est normal qu’il y ait une compensation, même si la discussion n’a rien de simple dans certaines entreprises. Ce sera a priori plus simple que de revendiquer individuellement des augmentations de salaire car l’entretien professionnel est une obligation de l’employeur. »

Le vrai danger est ailleurs, estime Jean-Luc Molins, pour qui l’entretien professionnel risque surtout d’être absorbé dans « les mécaniques internes de développement des compétences » déjà en place dans les entreprises : « EDF a tenté de faire l’entretien d’évaluation et l’entretien professionnel ensemble, d’en faire un seul entretien », relève le dirigeant syndical, précisant que la CGT a dû intervenir pour rappeler la loi qui en a fait un entretien distinct. « Dans les entreprises, il y a une tendance généralisée à tout traiter dans un seul entretien qui combine entretien d’évaluation et entretien professionnel. »

Une tendance qui semble se confirmer sur le terrain. Ainsi, chez Axa France, séparer radicalement les deux entretiens, d’évaluation et professionnel, n’est pas à l’ordre du jour. « Nous souhaitons adosser cet entretien professionnel à la fixation des objectifs de l’année, explique Frédérique Bouvier, directrice de la formation, du recrutement et du management des talents et de la performance chez Axa France. Ce sont deux entretiens distincts mais la bonne pratique consiste à commencer par l’entretien professionnel, qui consiste à projeter le collaborateur dans l’avenir, puis à fixer les objectifs de l’année en cours. » Il n’est pas pour autant question de les fusionner : « Ces entretiens sont soutenus par le même outil mais ce sont deux cycles, workflows et formulaires différents. »

Demande « inentendable »

Une approche similaire a cours chez BNP Paribas. « Dans le cadre de l’entretien annuel d’évaluation, nous avions déjà une démarche systématique d’échange entre les collaborateurs et les managers, ou la RH, sur leurs perspectives d’évolution professionnelle et leurs besoins de formation, explique Claudine Quevarec, responsable politique et affaires sociales au sein du département des RH. Le nouveau dispositif légal a formalisé cette démarche qui se déroule assez naturellement après l’entretien d’évaluation. » Indiquant que l’évolution des collaborateurs et de leurs besoins en formation est aussi évoquée au fil d’autres entretiens, la responsable de BNP Paribas ajoute que « l’entretien professionnel peut alors apparaître très formel et s’ajouter à d’autres entretiens qui ont le même objet ».

Le maintien de l’entretien professionnel sous sa forme actuelle reste d’autant plus incertain que ses opposants de la première heure n’ont pas désarmé. La CPME, dont la demande de report à 2021 de l’échéance des six ans pour conclure des accords d’entreprise ou de branche n’a été que partiellement entendue par le gouvernement, souhaite toujours une évolution. « Dans les entreprises, notamment les TPE, il faudrait prévoir un seul entretien avec deux parties, l’une dédiée à l’entretien hiérarchique, l’autre à l’entretien professionnel, avec une formalisation simplifiée », indique Eric Chevée, vice-président de la CPME, pour qui « le simple non-respect de ce formalisme » ne justifie pas un abondement du CPF du salarié à hauteur de 3 000 euros. Une position qui hérisse la CFDT. « La remise en cause de l’entretien professionnel et du bilan des six ans pourrait être demandée par certaines entreprises qui ne sont pas entrées dans l’obligation. Pour la CFDT, une telle demande est inentendable », tranche Yvan Ricordeau. Le passage d’une « obligation fiscale » à une « obligation sociale » de l’entreprise à l’égard de chacun de ses salariés laisse encore augurer de futures passes d’armes.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins