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Denis Monneuse : Du côté de la recherche

Chroniques | publié le : 17.02.2020 | Denis Monneuse

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Denis Monneuse : Du côté de la recherche

Crédit photo Denis Monneuse

Le temps, c’est de l’argent… et du stress !

« Le temps, c’est de l’argent ! »

Il paraît que c’est Benjamin Franklin, l’écrivain et l’homme politique, l’un des pères fondateurs des États-Unis, qui aurait prononcé cette phrase le premier. Rien n’est moins sûr. En tout cas, cette mentalité qui consiste à associer le temps et l’argent s’est largement développée, à la fois dans la sphère professionnelle, mais aussi dans la vie personnelle. On tente ainsi de chasser le moindre « temps mort ».

Cette vision économique du temps

s’est largement diffusée sans qu’on réfléchisse aux conséquences qu’elle peut avoir sur nos comportements. Deux chercheurs, Jeffrey Pfeffer, de l’université de Stanford, et Dana Carney, de l’université de Berkeley, se sont demandé les effets que cette perception du temps comme de l’argent pouvait avoir. Ils ont alors réalisé l’expérience suivante : 104 participants étaient rémunérés 57,50 dollars pour deux heures de travail. Les chercheurs demandèrent à la moitié d’entre eux de calculer leur salaire par minute afin de les pousser à adopter une vision économique de leur temps. L’autre moitié ne recevait pas cette consigne ; ils n’avaient aucune consigne particulière. Après les deux heures de travail, tous les participants devaient évaluer leur niveau de stress. En outre, leur niveau de cortisol (l’hormone du stress) était mesuré avant et après ces deux heures de travail.

Quels furent les résultats de cette expérience ?

Jeffrey Pfeffer et Dana Carney ont publié leur étude dans la revue Academy of Management Discoveries1. Il s’avère que les participants qui ont dû calculer leur salaire par minute déclarent avoir eu un niveau de stress plus élevé que les autres. Ils disent vrai, car leur taux de cortisol fut effectivement plus élevé de 24 % par rapport aux participants à qui l’on n’a pas suggéré d’adopter une vision économique de leur temps. Or un taux élevé de cortisol en raison d’un niveau de stress élevé et durable a de nombreuses conséquences potentiellement négatives sur la santé : maux de tête, anxiété, dépression, maladies cardiaques, prise de poids, etc.

À quoi est dû ce surcroît de stress

quand on pense que « le temps, c’est de l’argent » ? A priori, cette vision économique nous rend plus impatients. On se sent plus sous pression pour utiliser au mieux notre temps. Cette vision réduit le sens de notre travail ainsi que notre attachement à notre emploi. Elle réduit également le plaisir associé aux temps de loisirs. Il n’est donc pas vraiment dans l’intérêt des employeurs de susciter cette vision économique du temps. Pourtant, un certain nombre de pratiques y contribue plus ou moins directement : le fait de rémunérer des tâches à un salaire horaire, de demander aux salariés de remplir des feuilles de temps, etc. Il faut dire que le Code du travail repose lui-même en grande partie sur la mesure du temps des salariés.

Bref, les employeurs auraient tout intérêt

à cesser de diffuser cette conception économique du temps et à plus mettre l’accent sur le sens et sur la qualité du travail.

(1) Pfeffer, J., & Carney, D. R. (2018). The economic evaluation of time can cause stress. Academy of Management Discoveries, 4 (1), 74-93.

Auteur

  • Denis Monneuse