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Les impostures du bonheur au travail

Chroniques | publié le : 10.02.2020 |

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Les impostures du bonheur au travail

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Martin Richer Management & RSE

À l’invitation d’un club de DRH, j’ai eu l’occasion récemment de revisionner le célèbre documentaire « Le bonheur au travail » de Martin Meissonnier, diffusé sur Arte en février 2015. Ce film a rencontré un immense succès, notamment dans les milieux de la GRH et du management, auxquels il ouvrait des perspectives de donner davantage d’autonomie aux salariés. Cinq ans plus tard, il apparaît sous un jour bien différent et révèle quatre malentendus.

1 – L’illusion de la centralité du travail

Le documentaire s’ouvre par une voix off qui nous dit : « Nous cherchons tous le bonheur. Mais alors, si nous passons la plus grande partie de notre vie au travail, pourquoi ne pas parler du bonheur au travail ? » Erreur ! Dans son « Nouveau portrait de la France » (2012), le sociologue Jean Viard explique qu’à l’échelle d’une vie, nous travaillons moins de 10 % de notre existence, contre 40 % en 1900. Ce temps au travail est devenu largement minoritaire par rapport aux 15 % que nous passons devant les écrans pour nos loisirs (pas seulement la télévision)… En suivant le raisonnement de Martin Meissonnier selon lequel le levier du bonheur se situe dans l’activité humaine dominante, on devrait aboutir… à la thèse inverse de celle qu’il soutient !

2 – La faiblesse des exemples mobilisés

On arrive ensuite au premier exemple concret abordé par le documentaire, la société Poult, une biscuiterie installée près de Montauban, suivi d’autres cas d’entreprises, brièvement décrits. Mais ce n’est pas avec des exemples, surtout en nombre restreint, que l’on construit une théorie. Le documentaire a du mal à décoller des simples anecdotes, expliquant que chez Poult, « ça marche, c’est-à-dire que l’entreprise connaît une bonne croissance », mais sans tenter de montrer le lien entre la nouvelle organisation et cette croissance. L’avenir montrera qu’elle s’est transformée en déroute commerciale. Le documentaire commet la même erreur que celle expérimentée trente ans auparavant par Tom Peter et Robert Waterman avec leur livre à succès « In Search of Excellence » (« Le Prix de l’excellence ») paru en 1982, qui reposait essentiellement sur des exemples d’entreprises dont le lecteur était prié de s’inspirer. L’hebdomadaire « BusinessWeek » (5 novembre 1984) publiera, deux ans plus tard, une critique virulente de ce livre, en montrant les difficultés ultérieures rencontrées par la majorité des 62 entreprises performantes sélectionnées par les auteurs.

3 – La confusion entre fin des managers et fin du management

Poursuivant sur le cas de Poult, le documentaire nous explique qu’en 2001, un nouveau dirigeant arrivé à la tête de l’entreprise a décidé de supprimer le management intermédiaire. Mais un salarié interviewé témoigne qu’il a bien fallu que les opérateurs reprennent les tâches auparavant effectuées par les managers écartés. Cela montre que supprimer les managers n’est pas du tout équivalent à abolir le management.

4 – Le manque de pérennité du « modèle »

Aujourd’hui, quelques années après la réalisation du documentaire, on sait que Poult a fait machine arrière à la faveur d’un changement d’actionnaires, qui ont estimé que le système de management mis en place par les anciens dirigeants ne répondait pas aux objectifs. Ce fut également le cas avec le deuxième exemple concret, celui de l’entreprise picarde Favi et avec le troisième exemple, le fabricant américain de motos Harley-Davidson. L’entreprise libérée est un modèle contingent à son leader. Parce que l’organisation est totalement ramifiée autour du « leader-libérateur », l’organisation ne lui survit pas.

Le « bonheur au travail » rassasiait notre faim d’une entreprise plus humaine. Mais en passant les difficultés sous silence, il ne nous a pas nourris. C’est le hamburger du management.