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Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Chroniques | publié le : 10.02.2020 | Jean Pralong

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Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Crédit photo Jean Pralong

Discrimination, organisation : démonstration

Les causes des discriminations dans le recrutement ne sont pas là où on les cherche : telle pourrait être l’une des conclusions de notre dernière recherche (1). Car les résultats éclairent les mécanismes qui produisent des décisions de recrutement discriminatoires.

Commençons par un bref rappel de l’étude. 231 recruteurs ont eu à juger des profils de candidats à un poste de comptable. Nous leur avons présenté six types de profils, qui ne différaient que selon deux variables : la longueur du profil (court ou long) et les informations (vraisemblables ou illusoires). Les profils vraisemblables contenaient avant tout des compétences. Les profils illusoires présentaient des postes et, surtout, deux informations permettant d’activer des stéréotypes : la pratique des jeux vidéo (qui suggère la préférence pour l’isolement) et la pratique du football (qui suggère la préférence pour des activités collectives). Lorsque les profils sont courts, le peu d’informations à traiter rend possible une décision rationnelle. Dans ce cas, les recruteurs analysent tous les éléments des profils ; ils discernent les informations pertinentes (les compétences), se méfient des profils illusoires et rendent des recommandations de recrutement pertinentes.

Lorsque les profils sont longs, la quantité d’informations à traiter excède les capacités attentionnelles des recruteurs. Dans ce cas, ils vont mobiliser des raisonnements simples et stéréotypés pour produire une décision rapide : un gamer sera positivement jugé car son introversion et son névrosisme coïncident avec l’image, stéréotypée elle aussi, du comptable solitaire et concentré sur ses chiffres. Un footballeur, au contraire, sera moins apprécié : son extraversion et son goût supposé pour les équipes s’éloignent de l’image du comptable.

Ces résultats sont riches d’informations. En premier lieu, ce ne sont pas les croyances des recruteurs qui posent problème : lorsque les profils sont courts, ils savent parfaitement identifier les compétences et prendre une décision juste. C’est donc la quantité d’information et le temps disponible pour les traiter qui génèrent des décisions erronées. Pour le recruteur de 2020, la décision discriminante n’est plus seulement le reflet de préjugés conscients. Elle est plutôt la conséquence de stéréotypes infraconscients. Elle est, surtout, la conséquence de l’organisation de son temps et de ses conditions de travail. Un recruteur qui a le temps de lire et de décider se trompe moins, sélectionne mieux et, finalement, discrimine moins.

Conclusions ? Il existe, a minima, une place à prendre pour l’IA. Les algorithmes sont insensibles aux loisirs du candidat, à la couleur de ses yeux ou à son âge. La longueur de son profil n’a aucune conséquence sur leur décision. Mais suffit-il d’en rester à l’IA ? Les cabinets savent bien que le recruteur est un artisan ; outre son savoir-faire, c’est son temps que les honoraires achètent. Lutter contre les discriminations est donc une œuvre à tiroirs : c’est questionner les croyances des recruteurs, mais c’est aussi questionner leurs conditions de travail, la place des process et du travail réel et, finalement, la possibilité raisonnable d’industrialiser ce métier.

(1) HumanProtocolError : quand l’abondance d’informations digitales provoque des erreurs de recrutement. HR Insights #2, Chaire Compétences, Employabilité & Décision RH, EM Normandie Business School.

Auteur

  • Jean Pralong