La liberté d’expression d’un salarié dans l’entreprise trouve ses limites dans l’utilisation abusive de cette liberté, qui peut alors conduire à son licenciement. Mais quelles sont les formes de cet abus ? Un salarié, embauché en qualité de responsable commercial en 2010, était licencié trois ans plus tard pour faute grave au motif qu’il aurait tenu des propos dépassant son droit d’expression et de critique tant à l’égard du dirigeant que d’autres salariés de l’entreprise. L’intéressé contestait devant la juridiction prud’homale la légitimité de la rupture intervenue. L’employeur, sur qui reposait l’intégralité de la charge de la preuve, faisait valoir que son ancien salarié avait eu un comportement agressif et critique à l’égard du dirigeant, lui écrivant : « Je ne sais pas comment vous pouvez écrire de telles calembredaines », « Les contrevérités, c’est vous qui les dites et les écrivez ». Un comportement similaire était adopté au détriment d’autres salariés, provoquant un climat conflictuel et une ambiance délétère. Les courriels versés par l’employeur aux débats comportaient notamment les phrases suivantes : « le premier bon à tirer n’est ni fait ni à faire », « crois-tu que je puisse traiter ce genre de e-mail ? ». Pour sa part, le salarié réfutait toute attitude agressive. Les juges du fond, appréciant souverainement les courriels produits dont la teneur ne pouvait pas traduire à elle seule le ton arrogant ou agressif employé par le salarié, notaient néanmoins qu’ils s’étaient accompagnés de plaintes de plusieurs collègues sur son attitude, et validaient le licenciement. À tort selon la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 15 janvier 2020, rappelle qu’un salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir caractérisé en quoi les courriels rédigés par le salarié comportaient des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs. Autrement formulé, les Hauts magistrats estiment que pour constituer un motif de licenciement, l’exercice par le salarié de sa liberté d’expression doit être abusif. En synthèse, paraître arrogant, méprisant et désagréable avec ses collègues de travail comme avec sa direction ne peut être en soi une cause de licenciement. Une telle jurisprudence est susceptible d’avoir des conséquences importantes sur le plan indemnitaire depuis l’instauration des barèmes Macron puisqu’un salarié qui serait licencié du fait de l’exercice non abusif d’une liberté fondamentale verrait son indemnisation portée au minimum à six mois de salaire, quelle que soit son ancienneté, sans que les plafonds du barème lui soient opposables.