L’entreprise familiale stimule le dépôt de projets dans une démarche d’intrapreneuriat, sans rapport immédiat avec son activité dans l’automobile, mais ayant pour effet de créer des collaborations entre services et sites différents.
L’intrapreneuriat est très tendance chez Delfingen Industry. Ce groupe familial de sous-traitance automobile de 2 700 salariés dont le siège social est situé à Anteuil, dans le Doubs, met au service de sa politique d’entreprise ce concept, consistant à stimuler l’émergence de projets au sein de ses effectifs : « L’intrapreneuriat libère leur enthousiasme et leur énergie, notamment celui des jeunes générations en quête de sens au travail », souligne Christophe Clerc, vice-président exécutif. Pour ce fabricant de tubes et gaines de protection des véhicules, il revêt deux particularités : le projet est nécessairement collectif, et il n’a pas l’obligation d’un rapport direct avec le poste occupé. Rien à voir, en somme, avec la classique « boîte à idées » visant à des améliorations ciblées. C’est d’ailleurs la portée jugée trop limitée à l’échelle du groupe qui a motivé la dizaine de refus de validations, parmi les 50 projets déposés depuis l’origine du dispositif l’an dernier.
« Notre initiative constitue un moteur de l’économie collaborative appelée à prendre une place croissante dans nos métiers, et il contribue au décloisonnement entre nos équipes mondiales », poursuit Christophe Clerc. La configuration de base consiste en effet à réunir autour d’un projet une dizaine de salariés de différents services parmi les quelque 30 sites de Delfingen dans 20 pays. Ainsi, la mise au point d’une prothèse de la main en plastique par impression 3D pour enfants privés de l’usage de ce membre mobilise-t-elle actuellement un directeur de site en Inde, un ingénieur aux États-Unis, un responsable qualité aux Philippines, un responsable RH-finances en Asie et six salariés du siège d’Anteuil (Doubs), ingénieurs, data manager, juriste et informaticien, autour de l’initiatrice Dorothée Potier, responsable qualité pour l’Europe et l’Afrique. « L’idée m’est venue, sans rapport avec une expérience personnelle, en visualisant une vidéo sur un projet comparable d’un ingénieur d’Airbus. Elle m’a semblé compatible avec les moyens techniques et les valeurs de Delfingen : nous possédons des imprimantes 3D, nous avons implanté depuis peu un fab lab, le plastique est notre matière première et notre fondation d’entreprise compte le handicap dans ses axes d’actions », décrit Dorothée Potier. Le matériel, issu de la récupération, rend le projet très peu onéreux, et ainsi déployable dans les pays les plus pauvres. Delfingen ne fixe cependant pas de plafond budgétaire aux projets, dès lors que le montant sollicité apparaît justifié. La prothèse en cours de mise au point est beaucoup plus légère et souple que les prothèses habituelles. Elle crée une articulation qui obéit aisément aux mouvements du bras valide et a été agréée par l’association E-nable qui œuvre au développement de ce type de produits dans le monde, est partenaire du projet et gage de sa dimension internationale.
Les thèmes de la RSE reviennent souvent parmi les projets déposés, au même titre que l’environnement et les RH, ces dernières sous l’angle principal de l’amélioration du bien-être au travail. Afin d’être mis en œuvre, un dossier doit être accepté par le comité exécutif sur la base d’un pitch limité à trois minutes. Les porteurs passent par une formation à l’argumentation au sein de la Delfingen Academy, plate-forme d’e-learning mise en place en 2017. Mais avant de pouvoir se présenter devant le top management du groupe, ils auront dû recueillir 500 points en deux mois parmi les collaborateurs dans le monde. Chaque porteur de projet doit donc inciter ses collègues à noter le dossier… et le mieux possible !
Les intrapreneurs de Delfingen peuvent-ils bénéficier d’une progression de carrière ? Pour l’entreprise, l’intrapreneuriat s’intègre au plan d’évolution professionnelle, de façon limitée toutefois. « Certains projets mettent en lumière des compétences, dont nous pouvons alors accompagner la montée », expose Christophe Clerc. La démarche a fait surgir des talents cachés, déclencheurs de mobilités. En confectionnant un jeu vidéo, une technicienne en laboratoire a révélé ses qualités de dessinatrice, qui l’ont menée au service marketing. Quant à un administrateur Google qui s’est distingué dans le management de son projet, il a franchi les échelons pour devenir directeur d’un site de production du groupe, l’été dernier. Des modèles pour les futurs intrapreneurs.