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Le grand entretien

« Les hauts potentiels ne sont pas tous identifiés par les employeurs »

Le grand entretien | publié le : 03.02.2020 | Frédéric Brillet

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« Les hauts potentiels ne sont pas tous identifiés par les employeurs »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans son essai Parfois ingérables, toujours brillants : repérer, manager et fidéliser les hauts potentiels, publié chez Eyrolles, Sandrine Rampont décrypte le comportement au travail des hauts potentiels nécessaires aux entreprises mais difficiles à appréhender.

Qu’est-ce qui vous a amenée à consacrer un livre aux hauts potentiels (HP) ?

Après vingt ans de direction générale d’entreprise, j’ai fait le constat de la nécessité de transformer profondément les pratiques managériales. Pour ce faire, je suis partie de l’étude du vécu en entreprise d’une trentaine de hauts potentiels car ceux-ci sont d’excellents capteurs des incohérences et inefficacités d’une organisation. En s’appuyant sur leur ressenti, les entreprises peuvent dégager des clés pour construire de la performance durable. Dans cette perspective, cet ouvrage ambitionne de servir de guide pour aider les managers, DRH et dirigeants à décrypter les comportements des HP pour les mettre au service de la réussite collective. Il se veut aussi utile aux personnes identifiées comme HP pour les aider à se faire mieux comprendre de leur manager et déterminer les environnements de travail qui leur sont favorables.

Pourquoi le management des hauts potentiels est-il un enjeu essentiel ?

Nous sommes dans une période d’évolution rapide des organisations où la compétitivité repose sur des collaborateurs capables de mettre en œuvre les adaptations nécessaires. Or les hauts potentiels ont la capacité de sortir des cadres établis lorsque cela est utile et ils possèdent l’agilité que les entreprises recherchent aujourd’hui. C’est le rôle des DRH de les repérer et de les guider dans leur évolution professionnelle en provoquant des situations d’apprentissage qui permettent de révéler leur potentiel. Toute la difficulté de l’exercice tient au fait que les HP, qui possèdent une intelligence et une perception sensorielle particulières, ne représentent que 2 % de la population et sont parfois complexes à « décoder ». Ils ne sont d’ailleurs pas tous identifiés en tant que tels par les employeurs car ils ne sortent pas forcément des grandes écoles. Certains ont pu même éprouver des difficultés à suivre les parcours scolaires classiques.

Comment sont-ils perçus dans leur entourage professionnel ?

Pas toujours positivement. Ils peuvent susciter de la jalousie, de l’incompréhension, voire du harcèlement. Certains s’autolimitent au travail pour « avoir la paix », ce qui prive leur entreprise de ce qu’ils pourraient lui apporter. Pour l’éviter, les personnes qui travaillent avec eux doivent comprendre leurs spécificités et les HP doivent prendre conscience de ce que leur côté direct, efficace ou hyperréactif peut générer comme ressenti chez les autres. Cela permet d’améliorer globalement la communication dans une équipe ou une organisation et de transformer des tensions liées à des différences de fonctionnement en collaboration constructive. C’est ce qu’on appelle le développement des soft skills, qui concerne l’ensemble des collaborateurs.

Faut-il leur confier une plus grosse charge de travail tenant compte de leurs capacités ? C’est une tentation de nombreux managers qui voient en eux des ressources inépuisables et leur donnent toujours « plus de la même chose ». Cela risque de les mener au burnout ou les faire quitter l’entreprise. Mieux vaut leur confier des missions variées, des projets complexes et les faire changer de périmètre régulièrement. Leurs capacités d’apprentissage élevées les rendent efficaces rapidement, y compris dans des domaines qu’ils ne connaissent pas.

Quels sont les stéréotypes vrais ou faux associés aux hauts potentiels ?

Le HP est souvent considéré soit comme un génie, soit comme une personne qui a des difficultés d’adaptation. C’est l’image qu’en donnent les médias (qui aiment le spectaculaire !) et les psychologues (qui voient essentiellement ceux qui « vont mal »). Or, une grande partie d’entre eux sont des collaborateurs dont les talents ne sont que partiellement révélés ou utilisés, car ils sont discrets. Et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la plupart respectent leur hiérarchie. On leur attribue un fort ego mais, dans les faits, ce sont généralement des personnes humbles, qui ont tendance à douter. Lorsqu’elles obtiennent d’excellents résultats, leur perfectionnisme leur fait voir ce qui reste à accomplir ou ce qui pourrait être amélioré plutôt que le chemin déjà parcouru. Enfin, souvent on assimile le HP à un homme. Or, il existe autant de femmes à haut potentiel que d’hommes mais l’expression de leur haut potentiel est différente. À l’école, elles s’adaptent et, dans l’entreprise, les obstacles rencontrés à leur progression professionnelle les amènent souvent à réserver leurs talents à la sphère familiale, artistique, sportive ou associative. Résultat, les employeurs les repèrent moins facilement.

Comment reconnaître ce type de profils ?

Ils partagent quelques caractéristiques communes comme la curiosité, la créativité, la puissance intellectuelle, la sensibilité et son corollaire, l’intensité. Ce sont des personnes qui peuvent se passionner pour un travail ou une mission et faire preuve d’une capacité de travail étonnante ou au contraire avoir du mal à réaliser quelque chose qui ne les intéresse pas et « procrastiner ». En entreprise, c’est souvent leur comportement « intense » ou leur originalité qui les révèle. Ils peuvent proposer des solutions étonnantes à un problème, mais qui fonctionnent, obtenir des résultats exceptionnels, surréagir à ce qui leur semble incohérent ou injuste…

Comment les développer et les fidéliser de manière efficace ?

Ce sont des personnes qui ont besoin d’être alimentées en nouveauté pour prendre du plaisir à leur travail et être performantes. La routine et le fonctionnement en pilotage automatique dans la zone de confort les démotivent. Il convient aussi de leur donner un cadre clair sur ce qui est attendu d’eux en termes de réalisation, de travail en équipe et de reporting, de s’assurer que le cadre a bien été compris et les laisser ensuite avancer en autonomie, tout en restant à leur écoute en cas de question. Pour les fidéliser, il faut leur proposer régulièrement des challenges, des occasions d’apprentissage variées et beaucoup de liberté. Et aussi prendre en compte dans leur évolution professionnelle leur rythme d’apprentissage. Ils peuvent faire le tour d’un poste et aspirer à évoluer plus rapidement que les normes habituellement en vigueur dans l’entreprise. Enfin les entreprises ont tout intérêt à investir dans le développement des compétences des HP le plus tôt possible pour bénéficier de leur expertise au plus haut niveau. L’étude « Return on leadership » menée par Egon Zehnder et McKinsey a mis en exergue le fait que la présence de profils à haut potentiel dans les équipes de direction est corrélée à sa croissance. Mieux vaut en effet combiner dans une équipe de direction des profils divers susceptibles d’apporter des compétences très pointues, même s’ils ne sont pas excellents partout, que de réunir des profils homogènes en tous points. Pour que ce mix fonctionne, la culture d’entreprise doit favoriser la diversité au sens large. Car la complémentarité des talents crée de l’intelligence collective, à tous les niveaux.

Les hauts potentiels le demeurent-ils tout au long de leur carrière ?

Leur fonctionnement cérébral reste le même tout au long de leur vie sauf en cas d’accident ou de maladie qui viendrait l’endommager. Ceci ne garantit néanmoins pas une performance ou une progression linéaire. L’enjeu pour une organisation consiste à tirer parti de leurs talents en mettant en œuvre pour ces personnes, comme pour les autres collaborateurs, les conditions pour qu’elles puissent réaliser leur potentiel. Toutes les organisations n’en sont pas capables, en particulier celles hypernormées ou hyperhiérarchiques. Le cas échéant, elles perdront tôt ou tard les collaborateurs HP ou les feront souffrir. Nombreux sont ceux qui, à un moment de leur carrière – parfois même au début – préfèrent créer leur entreprise ou devenir free-lance pour se réaliser professionnellement plutôt que de s’adapter à un cadre qui ne leur convient pas. Certains deviennent des dirigeants visionnaires et célèbres : Steve Jobs, Elon Musk… mais la plupart demeurent discrets.

Parcours

Sandrine Rampont a une expérience de vingt ans en direction générale. Elle a notamment été directrice générale associée d’Infopro Digital, a piloté plusieurs entités du groupe en France et à l’international et a dirigé les divisions médias, édition et formation du groupe RELX. Elle est membre de Mensa (The High IQ Society).

Auteur

  • Frédéric Brillet