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Denis Monneuse : Du côté de la recherche

Chroniques | publié le : 03.02.2020 | Denis Monneuse

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Denis Monneuse : Du côté de la recherche

Crédit photo Denis Monneuse

Cachez ce téléphone que je ne saurais voir

Je me souviendrai toute ma vie de la réunion suivante dans une multinationale du secteur de l’industrie. Jeune consultant, je dois faire une présentation à la fin du codir ressources humaines et responsabilité sociale des entreprises (RH-RSE). Quand j’arrive, le DRH présente le bilan social du groupe. Il dit quelques mots sur l’absentéisme maladie, puis passe aux accidents de travail. Il y eut plusieurs accidents de travail mortels dans l’année. Pas en France, mais dans d’autres pays. En France, il n’y eut que des blessures graves (un membre sectionné par exemple), mais pas de victimes ; l’honneur est sauf. Le DRH lit une note qui décrit par le menu comment ces accidents sont survenus. Je suis le seul à écouter. Les autres participants (des responsables RH et RSE régionaux pour la plupart) ont tous le nez sur leur téléphone intelligent comme on dit au Québec, sur leur smartphone comme on dit en France. Ils jetaient tous un œil sur leurs courriels pendant que le DRH parlait. Il y avait quelque chose d’indécent que personne ne s’intéresse à ces collègues morts ou blessés dans le cadre de leur travail.

On sait bien qu’une réunion pendant laquelle la moitié des participants a la tête sur son ordinateur portable ou son téléphone sera une réunion de mauvaise qualité. On se croit capable de faire plusieurs choses à la fois, mais, en général, on fait moins bien les activités qu’on mène de front. La qualité de l’écoute est moindre si on est en train de penser à la réunion d’après ou de pianoter sur son téléphone pour répondre à un courriel.

C’est pour cela que dans certaines entreprises ou dans certains services, la règle est de poser son téléphone sur la table en réunion et de ne point y toucher. L’idée est que les participants seront plus concentrés et à l’écoute les uns les autres, ce qui rendra la réunion plus productive, donc plus courte. Les participants pourront donc vite se jeter sur leur téléphone une fois la réunion terminée pour voir les courriels qu’ils ont manqués pendant ce temps.

Cette pratique part d’une intention louable, mais est-elle vraiment efficace ? Une expérience scientifique a consisté à réunir deux parfaits inconnus dans une pièce en les invitant à engager la conversation. On leur suggérait par exemple de discuter d’un événement qu’ils avaient pu vivre récemment. Dans un cas, il y avait un smartphone dans la pièce ; dans l’autre cas, un bloc-notes(1).

Quelles différences furent observées entre ces deux situations ? Les personnes dans la pièce avec le téléphone eurent plus de mal à entrer en connexion que celles dans la pièce avec le bloc-notes : leur relation était de moins bonne qualité. En présence du téléphone, les participants percevaient aussi leur interlocuteur moins empathique et moins digne de confiance par rapport à ceux en présence d’un bloc-notes.

La simple présence d’un smartphone sous nos yeux nous distrait parce que cet objet nous rappelle le monde autour de nous et les tâches qu’on doit effectuer. Il nous fait par exemple penser qu’on a oublié de rappeler Untel ou qu’on doit écrire un courriel à Unetelle.

Les entreprises devraient donc prendre exemple sur ce qui se passe à L’Élysée lors du Conseil des ministres : les téléphones n’ont pas droit de cité dans la salle de réunion, ils doivent être déposés dans de petites boîtes à l’entrée.

(1) Cf. A. Alter, Irresistible : The rise of addictive technology and the business of keeping us hooked, Penguin, 2017.

Auteur

  • Denis Monneuse