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Data RH : Des experts à trouver et à bien intégrer

Le point sur | publié le : 27.01.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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Data RH : Des experts à trouver et à bien intégrer

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Si les bénéfices de la data science ne font plus de doute, trouver les profils et les intégrer reste une gageure. Pour sortir de cette ornière, les DRH doivent miser sur une montée en compétences interne couplée à des ressources externes. La voie est étroite mais pleine d’enseignements.

Les profils data restent des oiseaux rares dans les services RH. « Ils sont concentrés dans le champ de la business intelligence (BI) et très peu mobilisés pour l’instant dans les RH », constate David Bellaïche, président du cabinet de conseil Althéa. Des projets big data ont bien été lancés par de grandes sociétés, mais demeurent selon lui des « analyses classiques décisionnelles ». La quantité de données disponibles est pourtant déjà pléthorique, souligne Laurent Termignon, consultant chez Willis Towers Watson : « Certains sondages portent sur 250 000 salariés qui doivent répondre jusqu’à 50 questions ! » La connaissance que les entreprises ont de leurs collaborateurs reste cependant lacunaire, en tout cas sans commune mesure avec celle accumulée sur les consommateurs. « Si la connaissance que le marketing a des clients est à 100, je dirais que celle des RH vis-à-vis des salariés atteint un niveau d’environ 20 », résume David Bellaïche.

Premier facteur d’explication : la lenteur avec laquelle les entreprises se dotent d’un « core RH ». Ces projets complexes, tributaires d’un déploiement mondial, peuvent demander jusqu’à trois ans de réalisation. « Il faut attendre que les grandes sociétés franchissent ce pas, estime David Bellaïche. Une fois mis en place les processus décisionnels, il sera possible de passer à l’analyse prévisionnelle avec des technologies qui peuvent être qualifiées de big data. » Le RGPD freine aussi les ardeurs puisqu’il ajoute une complexité juridique encore mouvante à celle des technologies. Autant d’horizons qui n’attirent guère les DRH, assez peu technophiles.

Pour ne rien arranger, les profils data ne sont pas homogènes, rappelle Magali, une data scientist avec une formation de statisticienne qui a travaillé pendant plusieurs années dans un groupe du CAC 40 : « Il y a deux profils de data scientists : d’un côté, les statisticiens qui ont acquis des compétences informatiques pour traiter de grands volumes de données ; de l’autre, des informaticiens qui ont assimilé les modèles mathématiques avancés. » Si les statisticiens ont « une vision plus analytique et plus de recul sur les biais possibles induits par les données », les « informaticiens » connaissent davantage l’architecture des systèmes d’information et la « production » au sens informatique. « Dans une équipe, il vaut mieux mélanger ces deux profils, car il est difficile d’avoir les deux compétences au même degré », souligne-t-elle.

Pari… pas toujours gagnant

Une fois trouvés le ou les oiseaux rares, encore faut-il les intégrer dans les équipes RH. La manœuvre relève du pari… pas toujours gagnant, reconnaît Audrey Richard, DRH de groupe Up et présidente de l’ANDRH, qui se souvient d’une expérience sans lendemain : « Cela n’a pas été concluant, car les données et les analyses que produisait [le data scientist] n’apportaient pas grand-chose d’un point de vue RH. Avec le recul, je crois qu’il ne savait pas exactement quoi chercher et l’équipe RH ne savait pas non plus quoi lui demander. Il y avait une sorte d’attente, comme si la vérité allait sortir des données. »

Pour combler ce fossé qui les sépare du monde RH classique, ces nouveaux venus ont intérêt à faire preuve de pédagogie. Magali a dû mener « toute une acculturation » et suggérer des sujets de recherche pour inciter les équipes RH à s’engager dans la voie qu’elle proposait. Elle a ainsi produit des études sur les rémunérations, la QVT, les promotions ou la mobilité avec une valeur ajoutée précise : « Les statistiques avancées procurent une vision multidimensionnelle qui permet de mieux voir les effets conjoints. La modélisation statistique permet d’étudier simultanément de nombreux axes d’analyse, par exemple 500, pour déterminer les plus importants. » Pas question pour autant d’apporter des certitudes pour l’avenir. « Il ne s’agit pas d’un outil de prédiction, mais d’aide à la décision, rappelle la data scientist. Ce sont les RH qui sont au fait du contexte et qui doivent valider, ou pas, en fonction de leurs propres connaissances. » Soulignant que ces outils produisent « des probabilités », elle rappelle qu’il faut « ajouter des analyses qualitatives pour confirmer ces hypothèses ».

Pour Audrey Richard, la difficulté majeure réside bien dans la combinaison des compétences RH et data science. À ses yeux, le défi n’a rien d’insurmontable : « Les profils chargés de la paie peuvent être formés à la data science à condition d’avoir une approche synthétique. Une telle démarche a du sens dès lors qu’existent des politiques RH bien en place et des process clairs. C’est un socle indispensable pour passer à l’analyse data et à une dimension prédictive. »

Transformation dans deux dimensions

Dans son département Data RH et analytics, Sanofi s’est déjà engagé dans cette voie en réunissant des data scientists alternants provenant de Polytechnique ou de filières de type « mathématiques appliquées aux sciences sociales », des collaborateurs familiers des bases de données et d’autres issus de différents départements (finance, marketing ou commercial). Ce noyau est soutenu par un réseau de 30 data scientists chargés de gérer la data RH dans les différentes unités du groupe. « Il leur est demandé de faire du reporting, mais aussi de commencer à travailler sur des scénarios plus prédictifs, par exemple sur l’évolution des métiers et des compétences à un horizon de trois à cinq ans, explique Franck Thibault, responsable du département Data RH et analytics. Je dis “commencer”, car nous n’avons pas encore intégré tous les outils et qu’il faut aussi effectuer un travail de nettoyage des données et notamment d’alignement avec les données de la finance, qui raisonne en ETP alors que nous raisonnons en effectifs (headcounts) ! » Il compte étudier le comportement des « millennials » ou les caractéristiques des salariés qui ont occupé trois fonctions sur dix ans. « Cela nous permettrait d’apporter un conseil plus personnalisé à ces différentes catégories de collaborateurs, mais aussi de voir sur quels leviers nous devons communiquer ou agir pour obtenir de meilleurs résultats. » En 2020 et 2021, les équipes RH seront formées à l’utilisation des données afin de réaliser des extractions et des analyses.

Pour Franck Thibault, la data va transformer les RH dans deux dimensions : « Elle va d’abord aider les business à prendre de meilleures décisions en comprenant les écarts existants entre leur dynamique actuelle – effectifs, compétences, etc. – et leurs objectifs stratégiques à trois ou cinq ans. La data va aussi améliorer les possibilités d’accompagnement et de coaching des collaborateurs sur leur parcours de carrière, par exemple. » Autant d’avantages qui risquent cependant de rester réservés à quelques happy few, car la pénurie de profils data persiste et le domaine des ressources humaines n’est pas celui qui les attire le plus. De quoi inciter les RH à continuer d’explorer des voies innovantes combinant montée en compétences de membres des équipes RH, recours à des collaborateurs d’autres départements et prestataires extérieurs.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins