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Le grand entretien

« L’entreprise d’insertion n’est pas un dispositif généraliste pour trouver un emploi ! »

Le grand entretien | publié le : 27.01.2020 | Sophie Massieu

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« L’entreprise d’insertion n’est pas un dispositif généraliste pour trouver un emploi ! »

Crédit photo Sophie Massieu

Pour le président et cofondateur du Groupe Id’ees, le but premier des structures d’insertion doit rester d’accompagner les publics les plus en difficulté avant de permettre à tous de retrouver un emploi. Il déplore que l’on néglige trop la dimension pédagogique du projet de départ.

Pensez-vous que l’Insertion par l’activité économique (IAE) représente une bonne porte d’entrée vers l’emploi ?

Tous les deux ans, les pouvoirs publics créent des bouleversements législatifs. Il devient difficile d’apprécier leurs effets. À chaque nouveau gouvernement sa volonté de faire quelque chose, c’est une constante dans ce secteur. Résultat ? On ne peut pas faire d’analyse, d’évaluation sérieuse sur les méthodes avec lesquelles nous travaillons. Une fois encore, à partir de ce 1er janvier, nous partons sur une nouvelle trajectoire. Il faudrait l’appliquer pendant deux ou trois ans successifs pour en mesurer les effets mais je ne suis pas certain que cela soit possible. On ne perçoit pas toujours les intentions des décideurs. Et de toute façon, c’est à nous qu’il revient de nous adapter à leurs choix et pas l’inverse. Ce que je regrette, mieux vaudrait qu’ils tiennent compte de ce qu’ont à dire les opérateurs.

Les nouvelles orientations prises en matière d’insertion semblent ne pas toutes vous convenir ?

Nos propositions étaient destinées à des personnes en difficulté de façon large. Elles n’avaient pas à résoudre que des problèmes liés au chômage, mais rencontraient aussi des problématiques comportementales, psychiques… Pour les traiter, nous créions des espaces hors de leur contexte familial, social, des lieux où les rapports humains étaient directs, comprenaient des droits et des devoirs. Le but : faire de la pédagogie. Avant d’être des entrepreneurs, nous étions des pédagogues. Aujourd’hui, on attend de nous le contraire. Le socle pédagogique est maintenant sous-utilisé. On nous dit de créer le double d’emplois. Très bien. Ça permet de faire du business de façon sympathique, éthique, mais cela laissera de côté les publics les plus fragiles. Doubler un effectif ne garantit pas grand-chose, en matière d’efficacité, mais c’est dans l’air du temps… On en veut beaucoup. Et moi, je préfère faire bien pour peu, que mal ou moyennement pour beaucoup. Les besoins sont tellement différents d’une personne à l’autre…

Comment se matérialise cette prise en compte individuelle au sein des structures du Groupe Id’ees ?

Nous avons compté parmi les premiers à créer une entreprise de travail temporaire d’insertion. Nous le faisons à une échelle modeste, avec de petites équipes, un nombre restreint de personnes prises en charge pour obtenir le meilleur résultat possible… Et nous nous inscrivons dans nos territoires. Cet ancrage est une dimension importante de notre action. Pour que cela fonctionne, nous devons connaître physiquement nos partenaires, tisser des liens sociaux. Chacune de nos structures doit être en capacité de développer son fonctionnement local.

Il existe diverses formules dans l’insertion par l’activité économique. Pourquoi avez-vous choisi l’entreprise d’insertion ?

En 1985, quand nous avons créé la première structure, il n’existait quasiment que ce modèle d’activité. Notre but premier consistait à créer un outil pédagogique pour jeunes adultes. Pour leur apprendre à nouer des relations sociales paisibles, par le biais d’un travail. Avant d’en faire de bons ouvriers, notre objectif consistait à leur permettre de vivre bien avec eux et les autres. L’emploi devenait plutôt une conséquence du dispositif que son but initial, tout de pédagogie. L’entreprise d’insertion n’a jamais été faite pour devenir un dispositif généraliste pour trouver un emploi ! On n’est pas handicapé social parce que l’on est au chômage ! Or ce sont ces publics ayant un handicap social qui sont notre raison d’être.

Percevez-vous des évolutions au sein de vos publics ?

De nombreuses constantes persistent dans la nature des difficultés. Ce qui change, c’est le contexte. Par exemple, il semblerait que, lorsque le chômage baisse, les personnes en marge de la société se perçoivent plus encore comme mises à l’écart. Et leur vie en devient d’autant plus difficile.

Votre appartenance au secteur de l’économie sociale et solidaire vous semble-t-elle un point fort de votre identité ?

Bien sûr, nous ne sommes pas une entreprise traditionnelle lucrative. Mais nous appartenons à l’ESS sans l’avoir choisi, nous ne pouvons aller ailleurs. Mais que veut dire l’ESS au fond ? Le Crédit Agricole en fait partie, par exemple ; une banque comme cela a-t-elle un comportement exemplaire pour autant ? L’étiquette ESS ne suffit pas à dire qui l’on est vraiment. Je préfère que nous investissions les champs du développement, des nouvelles filières, de la formation, de la création de nouvelles activités. J’ai même adhéré au Medef, pour parler insertion aux grands patrons… Nous nous intégrons aussi aux différentes branches professionnelles de nos métiers.

Qu’attendez-vous, aujourd’hui, des pouvoirs publics ?

On ne peut qu’être d’accord avec la volonté de simplification. D’autant que par exemple, d’un département à l’autre, on ne collecte pas les mêmes données. Nous, nous sommes présents dans 43 ! Donc une harmonisation serait la bienvenue. Il faudrait que cesse l’habitude pour chaque fonctionnaire local de créer sa réglementation.

Parmi les dernières mesures annoncées, aussi au nom de la simplification, il y a l’idée que Pôle emploi ne désignera plus les bénéficiaires de vos services. Qu’en pensez-vous ?

Cela nous laisse perplexes. Nous redoutons que cela permette à chacun de faire ce qui lui plaît dans son coin, au détriment du projet social des personnes, que les travailleurs sociaux sont bien placés pour accompagner. Au fond, le secteur de l’insertion pourrait disparaître, si, à force d’y faire entrer tout le monde, on en masquait les spécificités et donc, l’utilité. Si l’insertion devient un dispositif généraliste, pourquoi lui conserverait-on ses particularités ?

Malgré cette source d’inquiétude, le Groupe Id’ees poursuit sa route. Quelles sont vos perspectives de développement ?

Nous continuerons de créer nos entreprises d’insertion en nous inscrivant dans le temps long, sur des territoires connus et identifiés. Nous ne créons rien à la demande d’un élu. Par ailleurs, nous développons de nouveaux métiers, nous nous inscrivons dans un schéma de filière, ce qui nous permet d’aller plus vite, grâce à des partenariats durables avec nos partenaires. Nous nous inscrivons dans la volonté de réaliser des joinventures sociales, exactement comme lorsque Adecco nous a rejoints dans notre ETTI en 1995. Enfin, en 2019, nous aurons dépassé les 7 % d’investissement dans la formation. L’enjeu pour nous aujourd’hui est de faire évoluer notre modèle en y intégrant davantage de formation.

Parcours

Pierre Choux, aujourd’hui président du Groupe Id’ees qu’il a cofondé, a voué sa carrière à l’accompagnement des personnes en difficulté, les jeunes en particulier. Après avoir été éducateur spécialisé, il a aussi initié ce qui deviendra la mission locale de Dijon. En 1985, Id’ees 21, première entité du groupe, ouvre ses portes. En 1994, aux côtés de Martine Aubry, il contribue à la création de la fondation de lutte contre l’exclusion.

Auteur

  • Sophie Massieu