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Yvan William : La chronique juridique

Chroniques | publié le : 27.01.2020 | Yvan William

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Yvan William : La chronique juridique

Crédit photo Yvan William

Affaire France Télécom : de la performance au harcèlement collectif

La réduction des effectifs est soit un effet collatéral d’une série de mesures économiques censées redresser les performances ou le principal levier d’économie. Dans ce dernier cas, ces plans dits de performances peuvent entraîner une dégradation illicite des conditions de travail et induisent des pratiques managériales toxiques pour contraindre au départ ou à la mobilité des salariés.

La déflation à marche forcée des effectifs de l’entreprise si elle est organisée dans ces circonstances caractérise un harcèlement moral collectif sans qu’il soit nécessaire de reconnaître des pratiques harcelantes individuelles. C’est là le principal apport de la décision du tribunal correctionnel de Paris rendue le 20 décembre 2019.

Selon lui, les éléments constitutifs du harcèlement moral institutionnel sont notamment caractérisés par l’utilisation des leviers suivants :

• la pression donnée au contrôle des départs dans le suivi des effectifs ;

• la modulation de la rémunération de cadres d’un certain niveau en faisant dépendre, pour partie, la part variable de l’évolution à la baisse des effectifs de leurs unités ;

• le conditionnement des esprits des « managers » au succès de l’objectif de déflation lors de leurs formations.

Il est aussi relevé que les stratégies de déflation à marche forcée de l’effectif étaient envisagées comme une des seules conditions de succès du plan stratégique de l’entreprise. Partant, l’accélération de ce plan, la précision des objectifs de départs fixés et le suivi de la réalisation de ces quotas révèlent un objet manifestement illicite.

La dégradation des conditions de travail apparaît ainsi être la conséquence logique et inévitable de l’application d’un plan stratégique aux objectifs manifestement irréalistes.

Les politiques de ressources humaines conduites pour atteindre ces objectifs ont dicté des décisions outrepassant manifestement le pouvoir de direction de l’employeur. Les juges constatent que les résultats exigés ont induit des manœuvres harcelantes répétées en vue de mobiliser la hiérarchie intermédiaire pour obliger des salariés à quitter l’entreprise.

Les peines prononcées. Le harcèlement moral institutionnel, lorsqu’il est avéré, expose l’entreprise mais aussi ses dirigeants à des condamnations qui obéissent au principe fondamental de la responsabilité pénale personnelle.

Selon le tribunal, la responsabilité pénale individuelle des dirigeants « repose, en réalité, sur une décision partagée, sur une mise en œuvre coordonnée, sur un suivi vigilant, des agissements harcelants dont l’objet était la dégradation des conditions de travail de tous les agents de France Télécom pour assurer et hâter, accélérer, la réduction recherchée des effectifs de l’entreprise ».

Ainsi, le fait de ne pas avoir la qualité d’initiateur d’une politique illicite de gestion des ressources humaines ayant conduit à une pratique de harcèlement institutionnel n’est pas une cause d’exonération de responsabilité pénale. Tout membre du comité de direction qui met en exécution de telles politiques peut être retenu dans les liens de complicité du harcèlement. Tel est le sens du jugement du tribunal qui a condamné des dirigeants et des hauts cadres à divers niveaux pour complicité (dont le directeur des ressources humaines France et la directrice du management des compétences et de l’emploi).

L’ordonnance souligne que « le comité de direction générale a été associé à cette décision et les membres n’ont émis aucune protestation et, au contraire, ont fait leur cette politique ».

La lecture à froid de ce jugement nous rappelle que la conduite à tout prix d’une stratégie sans réflexion préalable approfondie sur les impacts sociaux réels peut rapidement mener à la déraison collective.

Auteur

  • Yvan William