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Sur le terrain

Cuba : Un système qui pose des défis inédits aux entreprises étrangères

Sur le terrain | publié le : 13.01.2020 | Hector Lemieux

Les entreprises françaises présentes à Cuba doivent offrir, en plus du salaire imposé par les autorités, un complément de rémunération sous le manteau si elles veulent avoir en retour un minimum d’honnêteté et de présentéisme de la part des salariés locaux.

À Cuba, système politique oblige, la parole est discrète. Les informations les plus simples sur le fonctionnement d’une entreprise demandent souvent des années de présence dans l’île pour être partagées. Les chiffres, invérifiables, n’ont pas grand sens. Les sociétés étrangères actives sur place sont en tout cas peu nombreuses : une petite soixantaine, dont Bouygues, Pernod Ricard, la Canadienne Sherrit (pétrole et nickel), l’Espagnole Melia (tourisme), ainsi que quelques grosses PME. Un représentant du groupe français Robertet (parfumerie et arômes) qui emploie un total de 1 800 personnes, dont la moitié à l’étranger, confiait, lors de la FIHAV (la foire commerciale annuelle qui s’est tenue en novembre dernier à La Havane) : « Nous sommes distribués ici via le groupe cubain Suchel. Nous n’avons pas de salariés sur l’île. Cela coûterait trop cher et ne serait pas forcément utile. » De fait, si le salaire moyen mensuel cubain est de l’ordre de 30 euros seulement, une entreprise étrangère devra payer davantage le personnel local que ne le fait le gouvernement. D’autant que les autorités – et la situation sur place – l’imposent…

Unilatéralisme

D’abord, les règles de rémunération des Cubains qui travaillent pour des entreprises étrangères sont fixées unilatéralement par l’État. Ainsi, si les autorités demandent à une société étrangère de payer un serveur dans un complexe touristique, par exemple, l’équivalent de 725 euros par mois, le gouvernement cubain empochera ce montant et versera un salaire de 30 euros. Un employé cubain de l’entreprise belge BDC, qui importe des véhicules Peugeot, confirme, fataliste : « Mon salaire est cubain, pas européen ». Ensuite, le personnel local est peu motivé et pour qu’il travaille réellement, l’employeur étranger devra verser un montant supplémentaire sous le manteau.

L’extrême modicité des salaires officiels modifie aussi les comportements. Le pillage des biens des entreprises par les salariés est un sport national. Les matériaux de construction peuvent par exemple disparaître du jour au lendemain et le chantier est dès lors reporté. Autant dire que salarier du personnel sur l’île n’est pas de tout repos… Enfin, dernière chose, « si nous ouvrions un bureau à La Havane, je ne pourrais pas choisir les employés. C’est le gouvernement qui me les imposerait », relève le représentant de Robertet, avant de conclure : « Nous faisons des affaires avec Cuba depuis 45 ans. Nous connaissons ce marché, mais il est très compliqué, notamment en raison des délais de paiement, à moins d’être une très grande entreprise comme Bouygues ».

Bouygues, de même que Pernod Ricard, qui vend le rhum Havana Club, font en effet partie des rares sociétés étrangères à avoir un nombre significatif de salariés sur place. Le géant du BTP construit les hôtels de luxe de Cuba et rénove l’aéroport de La Havane. Si l’entreprise cultive le secret, les salariés de Bouygues et leurs familles constituent une communauté d’environ 400 personnes, avec « pour ambition d’atteindre 700 personnes », confie un diplomate occidental. Pour la construction du Manzana, le premier hôtel de luxe de la capitale, inauguré il y a deux ans, Bouygues a d’abord employé des ouvriers cubains, puis le groupe français a pris des jeunes locaux faisant leur service militaire. Enfin, il a également eu recours à des Indiens, de la main étrangère donc, ce qui a soulevé bien des critiques sur place…

Syndicalisme

La quasi-totalité des employés cubains sont syndiqués à la Centrale des travailleurs de Cuba. Les charges salariales sont de 25 % (11 % d’imposition à laquelle il faut ajouter 14 % de contribution à la sécurité sociale). L’entreprise fonctionne dans le cadre d’une économie d’État dans laquelle les notions de performance n’ont pas grand sens. Le temps ne compte pas. Si certains secteurs comme le tourisme sont dynamiques parce qu’ils rapportent de l’argent à l’État, les autres tournent au ralenti. Les horaires de travail sont souvent amples (soit des journées de 10 à 12 heures), mais la productivité est faible. Les chiffres les plus fous circulent sur l’absentéisme. Autant dire que faire des affaires à Cuba constitue un vrai défi, mais des entreprises françaises comme Legrand, l’un des leaders mondiaux des produits et systèmes pour installations électriques et réseaux d’information, croient dans le potentiel du marché cubain. « Nous espérons nous implanter à Cuba l’an prochain », confie un représentant de Legrand rencontré à la FIHAV.

Auteur

  • Hector Lemieux