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Entretien : « Quand l’emploi repart, l’adresse n’est plus un frein à l’embauche »

Le point sur | publié le : 13.01.2020 | Lucie Tanneau

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Entretien : « Quand l’emploi repart, l’adresse n’est plus un frein à l’embauche »

Crédit photo Lucie Tanneau

Professeur à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée et directeur de la fédération Travail, emploi et politique publique du CNRS, Yannick L’Horty a fait partie du comité scientifique évaluateur pendant l’expérimentation des emplois francs. Le dispositif ne lui apparaît pas fondamental alors que « la discrimination liée à l’adresse tend à disparaître ».

Le gouvernement a revu à la baisse ses objectifs en nombre de signatures d’emplois francs. Pourquoi le dispositif ne décolle-t-il pas ?

Je ne connais pas précisément l’objectif chiffré initial, mais c’est vrai que nous avons constaté une évolution très timide du recours aux emplois francs depuis avril 2018. Les employeurs n’ont que peu recours au dispositif alors même qu’ils peuvent bénéficier d’une prime importante de près de 15 000 euros sur trois ans pour un CDI. Peut-être est-ce dû à un manque d’information, mais nous l’avons testé avec une communication plus importante et cela n’a pas produit d’effet. Donc, soit les employeurs anticipent que l’offre ne sera pas effective et pensent que la promesse de prime ne sera pas tenue. Soit ils considèrent que le dispositif est complexe, car il y a une démarche à faire auprès de Pôle emploi. Nous avons aussi constaté que ce dispositif s’ajoute à de nombreux autres, et surtout que dans le contexte actuel de reprise de l’emploi, habiter un quartier prioritaire n’est plus vraiment un frein à l’embauche. La discrimination à l’adresse existe beaucoup moins que celle liée aux origines. Dans notre enquête 2019, elle tend même à disparaître, même si elle peut rester latente.

Accorder une prime vous semble-t-il souhaitable dans ce cas ?

Si la discrimination à l’adresse existe, il me semble souhaitable de prévoir une compensation. Mais en réalité, on constate un reflux de cette discrimination donc cela paraît moins pertinent qu’en 2008-2010, période pendant laquelle le marché de l’emploi était très dégradé. Aujourd’hui, la baisse du taux de chômage et les tensions sur le marché de l’emploi, globalement moindres, font diminuer les discriminations et en premier lieu celles liées au lieu de résidence.

Comment expliquez-vous le décalage entre la métropole de Lille qui s’est très vite saisie du dispositif, et Marseille où les emplois francs sont très peu utilisés ?

Les différences géographiques ont été importantes, peut-être parce qu’à Lille, contrairement à Marseille, Angers ou Paris, le portage politique a été plus soutenu de la part des acteurs publics. Dans le Nord, les employeurs ont peut-être une sensibilité vis-à-vis des aides publiques qui n’existe pas ailleurs. Peut-être que dans d’autres régions, les stéréotypes existent davantage et les employeurs limitent le recours à Pôle emploi pour leurs recrutements.

La généralisation à l’ensemble des quartiers prioritaires de la ville vous semble-t-elle pertinente ? Et pourquoi exclure les zones rurales, comme le suggérait la mission Agenda rural ?

La question de la pertinence est difficile à juger puisque la phase expérimentale a été plutôt négative et que le dispositif n’a pas décollé. Mais peut-être que justement cette expérimentation partielle et temporaire a nui au développement du dispositif et que le fait de généraliser donnera de la crédibilité à la mesure. Dans les zones rurales, où il existe de réelles difficultés d’accès à l’emploi, notamment pour les jeunes, ce sont davantage les contraintes de mobilité qui apparaissent comme des freins. Et au niveau pratique, associer ces zones au dispositif des emplois francs aurait été compliqué, car autant il est facile de vérifier qu’une adresse est située en QPV sur le site dédié, autant considérer qu’une adresse est rurale ou non et poser une limite est compliqué. La prime à la ruralité commencerait où ? D’autant que l’on n’a pas montré de discrimination liée à une adresse en ruralité. Les aides au permis de conduire me semblent plus judicieuses.

Quelles peuvent être les suites données au dispositif ? La prime est-elle vouée à durer après 2020 ou après l’objectif initial de 150 000 contrats signés ?

Si le non-recours des employeurs perdure, c’est difficile à prévoir. Mais l’impact budgétaire est faible et la prise de risque n’est donc pas grande. L’arrêt peut se faire rapidement. L’objectif reste que la mesure trouve son public.

Le succès principal de la mesure ne tient-il pas au fait que la majorité des contrats signés sont des CDI ?

La prime est presque doublée dans le cas d’un CDI ce qui explique cette répartition. Les employeurs vont préférer la forme de contrat qui maximise les aides. Nos travaux montrent que les discriminations peuvent être plus fortes pour les emplois plus qualifiés et plus stables, donc je suis heureux de constater que la mesure avantage les contrats à durée illimitée.

Auteur

  • Lucie Tanneau