logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Sur le terrain

« La concurrence incite à mettre les RH au service de la stratégie globale »

Sur le terrain | publié le : 06.01.2020 | Frédéric Brillet

Image

« La concurrence incite à mettre les RH au service de la stratégie globale »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans son ouvrage Stratégie d’entreprise et droit du travail, publié chez Wolters Kluwer, Mickaël d’Allende envisage le droit du travail davantage comme un investissement et une source d’opportunités que comme un facteur de risques ou de coûts. Il milite pour que les instruments issus de l’analyse juridique soient alignés avec la stratégie globale et pour que le droit du travail contribue davantage à la performance des entreprises sur leur marché concurrentiel et constitue un actif stratégique de premier plan.

Comment a évolué la relation des ressources humaines à la stratégie d’entreprise ?

À l’origine, la fonction « personnel » était perçue comme une source de coûts qu’il fallait rationaliser. Une analyse comptable de la situation d’une entreprise tendait à assimiler les salariés à une charge dans le compte de résultat. Dans cette vision, les RH étaient perçues comme une variable d’ajustement et non comme un actif figurant au bilan. Une meilleure compréhension du rôle des salariés a fait évoluer cette vision, comme en atteste l’émergence du terme « capital humain » pour désigner les ressources humaines. En parallèle de leur montée en puissance au cours des années 1980, celles-ci ont commencé à être analysées sous l’angle de la stratégie d’entreprise.

Qu’est-ce qui a produit ce changement ?

Au xxie siècle, le travail ne peut plus se résumer à un ensemble de tâches précises, largement automatisées et accomplies par chacun de manière isolée. Sa valeur ajoutée se révèle davantage – dans les pays occidentaux, tout du moins – dans les processus d’échange et de création collaboratifs. La prise de conscience du facteur humain dans la différenciation d’entreprises concurrentes rendait inévitable cette évolution. Par ailleurs, il devenait incohérent pour les directions d’insister dans leur communication sur le fait que les salariés constituent leur plus grande richesse pour donner en pratique peu de place aux ressources humaines dans le cadre des opérations stratégiques.

Dans ce contexte, on a commencé à explorer les articulations entre la stratégie d’entreprise et les ressources humaines. De nouveaux instruments ont été utilisés, telle la planification stratégique des ressources humaines. Le soin apporté par les dirigeants au capital humain de l’entreprise se rapproche progressivement de celui dont bénéficie le capital financier. Et ce d’autant que de nombreux secteurs sont confrontés à une pénurie de candidats qui ne frappe pas que les hauts potentiels. La guerre des talents incite à mettre les RH au service de la stratégie globale. Enfin, la pensée stratégique et le droit du travail, deux domaines longtemps antagonistes, sont de plus en plus en interaction directe, du fait des évolutions économiques, sociales, technologiques et sociétales.

Comment s’assurer d’une bonne articulation des RH et de la stratégie ?

Les rapports entre la stratégie d’entreprise et les ressources humaines peuvent être envisagés sous deux angles : la mise en place d’une stratégie propre aux ressources humaines et l’alignement des ressources humaines sur la stratégie. Seule la seconde analyse est directement liée à la stratégie d’entreprise. Toutes les stratégies mises en œuvre au sein d’une entreprise ne sont pas assimilables à la stratégie de l’entreprise. Cette dernière ne se confond pas avec la somme des premières.

Quel rôle joue le droit dans l’alignement de la DRH sur la stratégie globale ?

Si la stratégie doit demeurer un espace de liberté qu’il faut se garder de « juridiciser » à l’extrême, les contraintes réglementaires l’orientent nécessairement. Imaginer une stratégie et la mettre en œuvre sans se confronter au droit s’apparente à faire de l’ingénierie sans maîtriser les lois élémentaires de la physique. Ce « mal incurable » qu’est l’inflation de la norme juridique dans les pays développés rend d’autant plus indispensable de placer les liens entre le droit et la stratégie d’entreprise au cœur des préoccupations tant des juristes que des acteurs économiques.

Pourtant, vous constatez que la stratégie ne s’appuie pas suffisamment sur le droit du travail…

Certaines directions générales en France perçoivent encore le droit du travail comme une contrainte et non comme un outil de performance susceptible de créer de la valeur. À leurs yeux, le droit du travail souffre d’une inadaptation à la vie des entreprises. Sa fonction protectrice, sa complexité, son manque de flexibilité et sa variabilité au gré des élections lui interdiraient de servir les intérêts des entreprises. Par essence, il serait condamné à être anti-stratégique. Il s’agit là d’une vision caricaturale. Le droit du travail ne saurait être réduit à sa fonction de protection des salariés. Nier la dimension stratégique du droit du travail, c’est commettre à la fois une erreur et une faute.

Quelles questions croisant stratégie et droit du travail les entreprises gagneraient-elles à se poser ?

Ces questions sont innombrables mais trop rarement posées : Comment le droit du travail permet-il de se différencier et de se rendre unique sur son marché ? Comment peut-il participer à l’alignement stratégique entre les décisions actées par la direction et leur mise en œuvre par les opérationnels ? Quelle peut être sa contribution aux phénomènes de rupture et d’innovation stratégique ? Permet-il de favoriser la mise en place d’une culture d’entreprise performante ? De quelle manière peut-il être utilisé pour gérer le changement ou l’échec ? En s’interrogeant ainsi, les entreprises parviendront à conjuguer de la meilleure des manières la stratégie et le droit du travail et prendront un net avantage sur leurs concurrents tout en créant davantage de cohérence sur le plan social. Les contraintes attachées au droit du travail n’entravent que très rarement la possibilité pour une entreprise de se déployer comme elle le souhaite.

Quelle est la position du législateur dans ce débat ?

De manière générale, la philosophie qui irrigue les réformes actuelles vise à renforcer tant la transparence des actions menées par la direction que la participation des salariés aux décisions prises par celle-ci. C’est dans cette perspective que la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a prévu la consultation du comité d’entreprise (désormais le comité social et économique, ou le conseil d’entreprise) sur les orientations stratégiques de l’entreprise. De même, alors que les accords collectifs doivent désormais être publiés sur une base de données en libre accès, l’employeur conserve la possibilité de préserver la confidentialité des informations stratégiques.

Pouvez-vous citer des exemples d’entreprises dont la GRH contribue au succès de la stratégie parce qu’elle a été alignée sur cette dernière ?

Je constate comme tout le monde une aspiration dans nos sociétés à plus de consommation éthique. Cela amène les entreprises à redoubler d’efforts en matière de responsabilité sociale et environnementale et à le faire savoir. Dans ce contexte, des marques dites éthiques en viennent à faire des conditions de travail et de rémunération qu’elles proposent à leurs salariés, à leurs sous-traitants et/ou à leurs fournisseurs un élément différenciant pour gagner et fidéliser des clients. La gestion des ressources humaines, la politique sociale de l’entreprise deviennent alors des atouts dans la stratégie, ce mieux-disant social étant éventuellement garanti par un label éthique du type Max Havelaar ou par un audit RSE. Sans aller jusque-là, les grandes firmes, très suivies par les ONG et les médias, prennent conscience qu’une négligence en matière de responsabilité sociale, de traitement équitable des minorités ou des femmes peut pénaliser leur image auprès des consommateurs et des candidats à l’embauche. Et dans le secteur des hautes technologies où la croissance repose justement sur le recrutement de profils rares, la GRH a également tout intérêt à être en phase avec la stratégie globale.

Parcours

Docteur en droit, spécialisé en droit du travail, Mickaël d’Allende commence sa carrière dans le cabinet Flichy Grangé qu’il quitte en 2009 pour devenir avocat associé du cabinet Altana. Il y traite de problématiques sociales en lien avec les stratégies d’entreprise, les restructurations, les négociations collectives, la RSE ainsi que des contentieux à risques. Il enseigne par ailleurs le droit social dans les universités de Paris II et Montpellier I et a publié des ouvrages traitant du droit et de la protection sociale.

Auteur

  • Frédéric Brillet