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Formation : Afest : le bilan de l’an 1

Le point sur | publié le : 09.12.2019 | Benjamin d’Alguerre

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Formation : Afest : le bilan de l’an 1

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Presque un an jour pour jour après la publication du décret qui l’encadre, où en est l’Action de formation en situation de travail ? Ce nouveau dispositif qui promeut les apprentissages sur le lieu, le temps et en situation de travail monte progressivement en puissance. Les promesses seront-elles au rendez-vous ? Tour d’horizon.

Petit à petit, l’Action de formation en situation de travail (Afest) commence à faire son trou dans le paysage des dispositifs de formation à la main des entreprises. Selon les observations de la DGEFP, une dizaine d’accords d’entreprises en font état depuis 2018. Et une vingtaine d’autres – s’ils n’utilisent pas l’acronyme stricto sensu – évoquent le concept de « formation en situation de travail ». Des premiers pas encourageants pour ce mode de formation qui vise à faciliter la transmission des savoir-faire directement sur le lieu, le temps et en situation de travail et peut, en outre, être réalisé à distance et donner lieu à une qualification en fin de parcours.

Quelques grands groupes – Axa, Total, Enedis, Orange, Parc Astérix, Bouchara ou encore Sodexo – se lancent dans l’aventure et les Opco, que la loi charge d’assurer la promotion du dispositif, commencent eux aussi à mettre en place des expérimentations au sein de leur réseau d’adhérents. Les organismes de formation se mettent à leur tour au diapason. « Personne n’a vu venir l’Afest dans la loi du 5 septembre 2018, mais les professionnels de la formation se l’approprient petit à petit. Pour preuve : le premier appel d’offres Afest lancé par le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine en décembre 2018 avait reçu… cinq réponses. Celui de juillet 2019, trente-cinq ! », annonce Francis Dumasdelage, président de la Fédération de la formation professionnelle (FFP) de Nouvelle-Aquitaine et dirigeant du Groupe AFC.

Du neuf… pas si neuf

En soi, le principe de l’Afest n’est pas né de la loi Pénicaud. « Il provient de la grande famille historique de la compréhension du travail en tant que berceau des compétences telle qu’ont pu la théoriser des structures comme les réseaux compagnonniques, le Cnam, les Maisons familiales et rurales ou l’Afpa. La loi du 5 septembre 2018 est venue légitimer ces réflexions », précise Jacques Faubert, président de l’Association pour l’accompagnement et le développement des compétences (Adevcomp).

Certains grands comptes mettaient en œuvre des formations en situation de travail (Fest) avant que la loi ne les fasse entrer, sous l’intitulé des Afest, dans le champ d’application des dispositions relatives à la formation professionnelle. « Ils lançaient des projets de formation en situation de travail “sous le radar”, sans que les responsables RH-Formation ne soient nécessairement au courant. Le caractère original de ces pratiques venait du fait qu’elles étaient le plus souvent initiées par des responsables de production », se souvient la DGEFP1. Mais c’est surtout l’expérimentation menée de 2015 à 2018 sur une cinquantaine d’entreprises sous l’égide d’une dizaine d’Opca, du Copanef, du FPSPP, du Cnefop (ces trois instances sont aujourd’hui fondues dans France Compétences), de la DGEFP et de l’Anact qui a sonné le vrai départ du dispositif.

Encadrée mais pas standardisée

Selon Francis Dumasdelage, l’Afest constitue une petite révolution : « Le dispositif renverse la table. Il recentre l’activité formative sur l’entreprise et lui redonne ses lettres de noblesse ! » Pour Jacques Faubert, l’Afest présente aussi le mérite de replacer les managers au cœur du dispositif de développement des compétences et ainsi de les inciter à diffuser une culture apprenante au sein de leur structure. Pour autant, pas question de laisser l’entreprise jouer aux apprentis sorciers en présentant comme Afest des actions relevant de l’apprentissage sur le tas, voire… d’une situation de travail ordinaire dissimulée sous prétexte de formation !

Étant éligible aux fonds mutualisés de la formation, l’Afest fait l’objet d’un cadrage via le décret du 28 décembre 2018 : « Celui-ci fixe les quatre critères constitutifs d’une Afest : une analyse préalable de la situation de travail pour y distinguer les situations potentiellement apprenantes, la désignation d’un formateur susceptible de tutorer les apprenants, l’instauration de phases réflexives hors activité de travail permettant aux apprenants de consolider les apprentissages et plusieurs étapes d’évaluation pour juger de l’acquisition des compétences », énumère la DGEFP. Strict ? « Le décret pose un cadre, mais ses rédacteurs ont pris garde à ne pas brider la créativité des acteurs et, surtout, à ne pas faire de l’Afest une démarche standardisée », rassure-t-elle.

Droit à l’essai et marché de niche

Au cadre réglementaire s’ajoute l’obligation de nommer un référent pour chaque démarche Afest, capable de mettre en musique le parcours de formation. Et c’est ici que l’organisme de formation rentre en jeu. « L’Afest transforme le positionnement du prestataire : il n’est plus le sachant qui dispense un savoir, mais l’accompagnateur qui permet aux différents niveaux de hiérarchie de l’entreprise de s’engager dans la mise en place d’un parcours apprenant. Dans ce nouveau rôle, la réflexivité sur l’acquisition des compétences tient une place majeure », explique Frédéric Aubreton, directeur de ProSapiens, un cabinet de formation creusois spécialisé à 100 % dans l’Afest. « La situation de travail est le matériau premier de l’Afest », abonde Marc Dennery, directeur associé de l’organisme de formation et de conseil C-Campus. À condition cependant d’accepter un principe de base : « Toute situation de travail n’est pas apprenante : la formation suppose un droit à l’essai et il existe des situations pour lesquelles il est impossible de l’introduire dans un parcours Afest ». Conclusion : « L’Afest restera un marché de niche, d’autant qu’il n’existe plus de fonds mutualisés pour les entreprises de plus de 50 salariés », prédit Marc Dennery.

Rien n’empêchera cependant ces entreprises ou leurs branches d’engager des procédures de versements volontaires ou conventionnels à leur Opco pour bénéficier de financements au titre de l’Afest, précise la DGEFP.

« Il n’en reste pas moins que les entreprises de 51 à 300 salariés risquent d’être les grandes perdantes », soupire Olivia Berthelot, dirigeante du cabinet tourangeau Energia. Avec le risque, en sus, de voir se développer une offre d’Afest « low cost » pour les entreprises privées de fonds Opco…

C’est le débat qui agite le landerneau de la formation : les formateurs Afest doivent-ils être certifiés ? C-Campus a lancé sa propre certification dès 2016. Car cet organisme de formation a toujours cru à la formation en situation de travail et « dès l’envoi de la lettre de Manuel Valls à la DGEFP sur le plan PME-TPE, qui ouvrait la voie à l’Afest, nous nous sommes engagés », se rappelle-t-il. L’organisme devrait célébrer son centième formateur certifié aux alentours de Noël ; 200 autres devraient être certifiés avant la fin du printemps.

La certification en débat

C-Campus se défend de vouloir créer un modèle unique : « Ce que nous pensons, c’est que les entreprises et les Opco ont besoin de garanties sur la compétence des référents Afest. La certification est un bon moyen de leur assurer cette compétence. Nous serions ravis de voir d’autres acteurs intervenir ! » Son certificat « d’accompagnant Afest » est aujourd’hui inscrit au répertoire spécifique de France Compétences (ex-Inventaire du RNCP). Certains Opco misent sur les formateurs certifiés : en juin dernier, l’Afdas a ainsi lancé un appel d’offres en ce sens. L’initiative ne fait pas l’unanimité. « Le problème d’une certification Afest, c’est qu’elle risque de produire une standardisation du dispositif. La “certification de confiance” pourrait très vite devenir une “certification de conformité” et tuer dans l’œuf la créativité », objecte un formateur. Pour l’administration, en revanche, c’est la liberté de choix qui prime. Le DGEFP le confirme : « La certification de formateur Afest ne correspond à aucune exigence réglementaire. » L’Afest se fera-t-elle un jour sa place au soleil ? À suivre.

« Un moyen de qualification efficace »

Akto, l’opérateur de compétences des services à forte intensité de main-d’œuvre, fait partie de ces Opco qui attendent beaucoup de l’Afest, notamment en matière de qualification. Normal : ses principales branches constitutives (hôtellerie-restauration, intérim et propreté) présentent un profil commun : elles sont constituées d’entreprises employant des salariés peu qualifiés susceptibles de s’engager sur un parcours Afest pour obtenir une qualification de type CléA ou CQP. « Il s’agit de populations réticentes à l’idée de retourner à l’école. L’Afest constitue un bon moyen de les qualifier et même de recruter étant donné que cette modalité pédagogique peut aussi être ouverte à des demandeurs d’emploi dans le cadre de préparations opérationnelles à l’emploi individuelles ou collectives », assure Alice Clot-Mondragon, responsable ingénierie des compétences et des certifications au sein de l’Opco. Autre avantage : l’Afest permettrait de créer des passerelles entre CQP aux périmètres proches. Plusieurs expérimentations en ce sens ont débuté dans le périmètre de l’Opco. D’autres sont prévus à l’agenda pour 2020.

Dans les PME : l’exemple de G.Dubois

La menuiserie G.Dubois, PME de 300 salariés située en Indre-et-Loire, fait partie de ces groupes familiaux qui ont inscrit la promotion interne dans leur ADN. Pas étonnant, donc, qu’en 2019, l’entreprise se soit lancée dans l’aventure Afest pour tester la montée en compétences de plusieurs de ses salariés, notamment des conducteurs de travaux destinés à évoluer vers des postes de chargés d’affaires. Une opération, montée avec la FFB départementale, Constructys (Opco du bâtiment) et le cabinet Energia choisi comme référent. « Afin d’entamer la démarche, nous avons débuté par la création d’un référentiel d’activité grâce auquel il a été possible de décortiquer nos métiers en compétences », explique la DRH, Mathilde Lepage.

L’occasion, aussi, d’établir le constat que toutes les situations professionnelles n’étaient pas apprenantes. L’acquisition de certaines compétences (finances ou comptabilité) devra donc passer par les circuits classiques de la formation professionnelle. D’autres pourront être réalisées in situ. « C’est le cas de la capacité de répondre à un appel d’offres. Nos conducteurs de travaux sont accompagnés par un chargé d’affaires formateur-tuteur à cette fin. C’est également lui qui évaluera, en fin de parcours, l’acquisition de la compétence », poursuit la DRH.

Pour l’heure, l’expérience Afest de G.Dubois n’en est qu’à sa première phase. Évidemment, l’épée de Damoclès de la fin des financements Opco flotte au-dessus de l’entreprise, mais Mathilde Lepage l’assure : ce premier ballon d’essai sera mené jusqu’à son terme. Après… « il faudra imaginer des solutions ».

(1) D’après l’enquête européenne Continuing Vocational Training Survey (CVTS4), pas moins de 23 % des entreprises françaises organisaient des Fest au début des années 2010.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre