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Le grand entretien

« Les combats idéologiques peuvent mettre le paritarisme en difficulté »

Le grand entretien | publié le : 02.12.2019 | Sophie Massieu

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« Les combats idéologiques peuvent mettre le paritarisme en difficulté »

Crédit photo Sophie Massieu

Ex-secrétaire général de la CFDT Cadres, Jean-Paul Bouchet vient de publier un livre témoignage sur son parcours syndical et professionnel. Pour lui, il est urgent de sauver le paritarisme, de redessiner le syndicalisme, de pallier un manque de connaissances sur notre système social, et de retrouver les voies du dialogue social, qui doit être un dialogue professionnel.

Quel objectif avez-vous poursuivi en publiant ce témoignage sur votre parcours syndical ?

Selon mon entourage, les récits que je pourrais faire contribueraient à casser les représentations erronées d’un syndicalisme aujourd’hui marginalisé. Et moi, je voulais montrer la diversité de l’intervention syndicale. On associe toujours syndicalisme et grèves. On n’évoque pas suffisamment les engagements positifs, ni le paritarisme de gestion. Le syndicalisme souffre d’un déficit d’image et de visibilité. J’ai commencé à l’écrire sur fond de crise des gilets jaunes, qui l’a bien illustré. On a vu à quel point nombre de citoyens ignorent ce qui, dans leurs droits, relève des partenaires sociaux. Ils s’en prennent à l’État, y compris sur des sujets qu’il ne gère pas. En matière de retraite, par exemple, peu voient ce qui dans leurs ressources vient en fait de l’assurance complémentaire, gérée par les partenaires sociaux.

Au travers de cette cogestion en particulier, vous avez souvent eu affaire aux organisations patronales. Quelle conclusion en avez-vous tirée ?

Je suis à même de pointer les déficits des organisations tant syndicales que patronales. Chacun doit faire des apprentissages. Les syndicats doivent parfois faire des compromis gestionnaires et, de son côté, le patronat doit accepter de regarder les bénéficiaires, sans tout piloter au travers de la question des coûts. Sans cela, le système par répartition des retraites, par exemple, ne tiendra pas. Il existe bien un conflit des logiques et des rationalités. Ce débat contradictoire est important, et fertile dans de tels espaces. Alors pourquoi ne l’est-il pas dans les entreprises, comme on le voit en ce moment avec les si difficiles mises en place des CSE… ?

Ce paritarisme que vous défendez avec vigueur est plutôt malmené actuellement… Comment l’expliquer ?

Ce paritarisme, on l’a bâti après-guerre. On aurait pu faire un autre choix. Dans les pays nordiques, ce sont les partenaires sociaux qui distribuent les services. Nous, on a choisi de les confier à des organismes paritaires. Si aujourd’hui le paritarisme se porte mal, c’est d’abord parce que seuls les spécialistes connaissent le système. La majorité des Français ignore que les retraites complémentaires, la formation, l’assurance chômage… sont gérés par les partenaires sociaux. On bénéficie d’un droit, qu’on estime gratuit, sans avoir vu les cotisations qui l’ont permis. Sur cette ignorance se greffe parfois un manque de responsabilité pour trouver un compromis : certaines organisations syndicales ne signent jamais les accords interprofessionnels sur l’assurance chômage. Dans la durée, les combats idéologiques peuvent mettre le paritarisme en difficulté.

La mauvaise santé de la cogestion à la française vous semble-t-elle facteur de risques ?

Oui. En n’allant pas au bout de la négociation sur l’assurance chômage, le patronat a fait le pari que l’État mettrait au point une réforme plus dure que ce qu’il n’aurait jamais obtenu lui-même. On connaît la rationalité de l’État : la réduction des déficits. À la CFDT, on prévient que cela peut créer des trappes à pauvreté. Je suis d’accord avec l’idée de responsabilisation des acteurs, mais alors, il faut que tout le monde joue le jeu. Si le patronat continue à proposer des contrats courts, si on ne les sanctionne pas, ça ne marchera pas. De la sorte, on externalise un risque, qui passe des caisses de l’assurance chômage à celles de l’État, qui devra financer des minima sociaux pour les personnes paupérisées. Le danger sur l’assurance retraite, c’est surtout que la gouvernance risque d’échapper aux représentants des salariés et des employeurs. Or, l’État ne saurait être le seul garant de l’intérêt général et sociétal. Personne ne doit avoir de monopole. Si les sujets sociaux, économiques, écologiques… ne sont pas discutés dans des espaces pluri-acteurs, ça ne marchera pas.

En matière de formation également, vous estimez que beaucoup reste à faire…

Les militants syndicaux doivent développer leur pouvoir de contre-expertise et se voir en mesure de développer des analyses critiques, des modes d’organisation du travail par exemple. Pour tous, les questions d’éthique et de responsabilité, notamment, doivent faire l’objet de formations continues. Cela ne peut être attendu de la formation initiale parce que ça ne devient efficace que dès lors que l’apprenant dispose d’un référentiel de situation professionnelle. Pour autant, la formation initiale pourrait faire mieux en matière d’éducation sociétale tant les jeunes par exemple s’avèrent incapables de décrypter les lignes d’une feuille de paie… Mais cette inculture sociétale est partagée par tous, employeurs, étudiants, autant que salariés.

Cela nuit-il au dialogue social ?

En effet, d’autant que là encore, cette culture existe peu en France et cela ne s’apprend pas. La panne du dialogue social résulte aussi de l’image dégradée du syndicalisme et de la représentation des salariés. Dès lors qu’il ne se focalise pas assez sur les questions liées au travail et qu’il affiche des préoccupations idéologiques par exemple pour être en opposition frontale systématique au gouvernement, le syndicat n’a pas les moyens de son autonomie, faute d’adhérents et de cotisants. Le dialogue social s’apparente trop souvent à un dialogue de sourds, et n’est pas suffisamment perçu comme un dialogue professionnel, portant sur les conditions d’exercice du métier. Or, c’est lui qui peut définir les règles du jeu collectif. Il faut réinstaurer un dialogue de proximité autour de questions de coopération professionnelle et de performance collective. Les syndicats ont leur part du chemin à parcourir : ils doivent effectuer un travail de proximité avec leurs adhérents, même si la diminution des moyens portée par la mise en place des CSE fait obstacle. Ils doivent aussi se concentrer sur la professionnalité : je n’oublie pas que le syndicalisme est né des corporations, qui apportaient des services et des appuis.

Est-ce à dire que vous prônez un syndicalisme de services ?

On paie aujourd’hui très cher le fait d’avoir décorrélé l’accès à certains services comme la formation de l’appartenance à un syndicat. Je pense que nous devons développer une logique du service aux individus. Il faut qu’il y ait un service rendu, un facteur d’attrait, sinon le taux de syndicalisation restera faible. Nous devons devenir une ressource, fournir un appui et pas seulement être un interlocuteur de l’État. On a trop tendance à oublier l’individu, le bénéficiaire.

Parcours

Entré à la CFDT en 1977, membre du conseil d’administration de l’Apec depuis 1999, Jean-Paul Bouchet quitte le monde de l’entreprise en 2000, pour devenir secrétaire général adjoint de la CFDT cadres. Il en deviendra secrétaire général neuf ans plus tard, en même temps que membre du bureau national confédéral. En 2012, il est élu vice-président de l’Agirc. Le 21 novembre 2019 est paru Jouer collectif, un choix professionnel et syndical, aux éditions de l’Atelier.

Auteur

  • Sophie Massieu