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Le grand entretien

« L’expatriation, un passage obligé pour les collaborateurs qui visent le haut de la pyramide »

Le grand entretien | publié le : 25.11.2019 | Frédéric Brillet

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« L’expatriation, un passage obligé pour les collaborateurs qui visent le haut de la pyramide »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans son récent ouvrage intitulé La Mobilité internationale des salariés, paru chez Gereso Éditions, Isabelle Desmidt détaille les tenants et les aboutissants des politiques d’expatriation impactées par la mondialisation.

Qu’est-ce qui a changé ces dernières années dans la manière dont les DRH gèrent la mobilité internationale ?

D’abord, les directions des ressources humaines professionnalisent de plus en plus leur processus de gestion des transferts. Par exemple, elles font appel à des prestataires spécialisés tels que des fiscalistes pour assurer l’assistance fiscale ou les cabinets spécialisés en immigration. De même, elles ont tendance à prendre en compte la situation des conjoints – qui sont souvent contraints de démissionner pour suivre le salarié expatrié – en proposant par exemple une assistance pour la recherche d’emploi dans la ville d’affectation. Cela se produit essentiellement pour les transferts d’experts ou de dirigeants dont l’expertise est indispensable en filiale à l’étranger et dont la réussite de l’expatriation est une nécessité absolue pour le business. Par ailleurs, les entreprises diversifient la structure des packages en proposant parfois directement des contrats dits « locaux » sans passer par un CDI du pays d’origine avec l’ingénierie classique d’un package d’expatriation – primes de mobilité, différentiels coût de vie, prime pays… – ou d’autres packages dit « light » pour certaines typologies de missions. Bien sûr, la mondialisation a joué un rôle fondamental dans tous ces changements. Avec les délocalisations et implantations toujours plus lointaines, il a fallu expatrier davantage de managers pour encadrer les équipes locales en phase d’apprentissage du métier et des spécialités de l’entreprise. D’où la nécessité de créer des politiques de mobilité pour encadrer ces transferts de managers et d’expertise. Parallèlement à cela, certains pays d’accueil comme l’Arabie saoudite se réforment afin de devenir plus attractifs pour l’expatriation en famille.

Quelles sont les grandes tendances dans la gestion de la mobilité ?

On assiste à la diversification des combinaisons « destination d’origine-destination d’accueil » : les expatriations ne sont plus réservées exclusivement aux managers du siège de la société vers les filiales étrangères. De plus en plus, les mobilités s’organisent directement entre filiales. Dans ces situations, celles-ci ne sont pas complètement autonomes, car ces mobilités transversales se font sur un modèle insufflé par le siège en général et selon une politique groupe. Autre tendance, dans les grandes firmes, l’expatriation devient un passage obligé pour les collaborateurs qui visent le haut de la pyramide. Lors des revues de carrières, ceux qui ont fait leurs preuves dans un poste à l’international sont généralement perçus par leur hiérarchie comme étant des profils possédant des compétences clés et à suivre de près.

Quelles sont les précautions à prendre et erreurs à éviter pour les DRH qui inaugurent une politique de mobilité internationale ?

Le risque majeur est l’improvisation ou l’impréparation. Il est indispensable d’avoir posé un minimum de règles en matière de rémunération et de mesures d’accompagnement – par exemple, des plafonds de prise en charge des logements pour chaque destination et composition familiale. Il est important également que ces règles aient été exposées très en amont au salarié et que son accord ait été explicitement recueilli. L’erreur consiste à ne régler les aspects « logistique et accompagnement » qu’une fois le salarié arrivé à destination. Cela peut conduire le collaborateur à exiger des avantages non prévus par la politique de mobilité si celle-ci est incomplète. Mieux vaut donc passer en revue tous les aspects induits par une mobilité et notamment la frontière entre ce qui relève d’un souhait personnel du salarié et ce qui relève des obligations imposées à l’employeur par les rares textes régissant la relation de travail avec son salarié affecté à l’étranger.

Dans quelle mesure les entreprises adaptent-elles le package à la destination et au candidat ?

Pour les destinations peu attractives, les packages ne doivent pas se limiter aux incitations exclusivement financières : il faut par exemple prévoir un plus grand nombre de billets pour les congés ou renforcer l’accompagnement du conjoint. Des prestataires spécialisés éditent des données internationales indispensables aux services RH chargés de définir les grilles des primes d’expatriation adaptées à chaque destination. Par ailleurs, le sujet de la mobilité internationale rassemble les responsables RH en réseaux professionnels tels que le Cercle Magellan, par exemple, qui permettent d’échanger sur les pratiques et d’élaborer des benchmarks des politiques.

Jusqu’où faut-il aller dans la personnalisation des packages ?

L’un des buts d’une politique de mobilité internationale est d’assurer une certaine équité et d’éviter de trop nombreuses exceptions. On ne parle donc pas de personnalisation en tant que telle mais il est bien évident que l’on ne peut pas faire abstraction des spécificités des situations individuelles ou familiales des expatriés. Ainsi, la politique prévoit en général la prise en charge financière d’un logement plus grand pour une famille de quatre personnes que pour un couple sans enfant. Il arrive aussi que des collaborateurs soient candidats à un poste à l’international là où un recrutement local aurait pu convenir. Les entreprises proposent alors des packages allégés par rapport aux packages classiques offerts aux collaborateurs dont la mobilité est jugée indispensable pour le groupe – dirigeants, experts.

Que préconisez-vous pour bien sélectionner les candidats à la mobilité internationale ?

Au-delà des compétences et qualités personnelles du candidat, il faut s’assurer du consentement du conjoint : certaines entreprises le rencontrent systématiquement, d’autres jamais. Dans tous les cas, la DRH doit informer pleinement le couple des conséquences de sa mobilité et des bouleversements qui les attendent. Cela évite des retours anticipés liés à un conjoint désœuvré qui ne se fait pas à la destination. Pour cela, une formation dite « interculturelle » est un bon outil. Elle permet d’expliquer aux futurs expatriés les spécificités d’un pays mais aussi les comportements et attitudes qui feront de la mobilité un succès personnel et professionnel. Ainsi, un manager expatrié au Moyen-Orient avouait avoir été vexé la première fois qu’il avait vu un de ses collaborateurs quitter la réunion qu’il animait. Si notre expatrié n’avait pas « séché » la formation interculturelle, il aurait peut-être pu tenir compte des heures de prière pour organiser ses réunions… La capacité à transmettre est par ailleurs une compétence clé pour manager des équipes de cultures différentes. Elle est malheureusement parfois absente chez des experts qui ont l’habitude de résoudre seuls des problématiques complexes et se voient proposer des postes d’encadrement pour la première fois à l’international. Il n’est pas rare de les voir rentrer avant le terme de leur mission s’ils n’ont pas été préparés à cet aspect.

Comment bien gérer les retours ?

Il convient de ne pas faire durer trop longtemps la mission à l’étranger. Au-delà de cinq ans, le retour commence à devenir problématique. Un écueil assez fréquent en mobilité internationale est de créer des « expatriés professionnels » qui passent de destination en destination sans jamais repasser par l’entreprise d’origine. La politique peut prévoir un retour « obligatoire » par le siège ou un établissement du pays d’origine avant de repartir. Cette disposition donne aussi leur chance à d’autres collaborateurs pour l’expatriation. Elle permet également de conserver le contrôle de la carrière de ces expatriés et faire en sorte que l’expatriation ne devienne pas une profession en soi.

L’auteur

Isabelle Desmidt est chargée de mobilité internationale au sein d’une grande entreprise où elle accompagne les RH dans la gestion des transferts à grande échelle après avoir été consultante et formatrice en politique de mobilité internationale et gestion des transferts internationaux.

Auteur

  • Frédéric Brillet