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Le fait de la semaine

RSE : Mobiliser les entreprises contre les violences faites aux femmes

Le fait de la semaine | publié le : 25.11.2019 | Lys Zohin, Gilmar Sequeira Martins

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RSE : Mobiliser les entreprises contre les violences faites aux femmes

Crédit photo Lys Zohin, Gilmar Sequeira Martins

Dans le sillage de la journée internationale pour l’élimination de la violence faite aux femmes, patronnée par l’ONU, le réseau européen d’entreprises OneInThreeWomen publie une enquête mesurant l’impact de ces violences sur le travail et lance des initiatives pour soutenir aussi bien les victimes que leurs collègues.

Faut-il s’immiscer dans la vie privée des collaborateurs et surtout des collaboratrices qui seraient victimes de violences conjugales ? Oui, répond le réseau européen d’entreprises OneInThreeWomen co-fondé en 2018 par la Fondation Agir contre l’exclusion (FACE) et la Fondation Kering. Cette appellation fait référence à la proportion de femmes qui sont victimes de violence physique ou sexuelle au cours de leur vie, selon les estimations de l’OMS et le rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2014. Ce dernier précise qu’une femme sur trois a subi au moins une forme de violence physique et/ou sexuelle depuis l’âge de 15 ans, une femme sur cinq a fait l’objet d’une traque furtive et une femme sur deux a déjà été victime d’une ou de plusieurs formes de harcèlement sexuel. Le réseau européen OneInThreeWomen est soutenu par L’Oréal, Korian, BNP Paribas, Carrefour, SNCF et OuiCare. Il inscrit son action dans le cadre du projet européen Cease. Mené par plusieurs associations et entreprises, il est aussi soutenu par la Commission européenne à travers le programme « Droits, égalité et citoyenneté », sur la période 2014-2020.

Retards, absentéisme, baisse de productivité

Trente entreprises européennes ont déjà signé une charte d’engagement pour lutter contre les violences conjugales. Pour une raison simple : non seulement ces violences ont un impact sur la dignité, le bien-être et la santé des victimes, mais en plus, elles sont de nature à pénaliser la performance au travail, et partant, celle de l’entreprise. Selon une étude de EIGE (European Institute for Gender Equality), publiée en 2014, le coût des violences faites aux femmes s’élève à plus de 226 milliards d’euros chaque année en Europe – pour les entreprises, les services publics, en particulier les systèmes de santé, et bien sûr les victimes elles-mêmes, sous la forme d’un impact physique et émotionnel, sans oublier un effet financier. En effet, selon une autre étude, celle de Domestic Violence at Work, les victimes de violences conjugales ont en général plus de difficultés à aller au travail, ont des emplois plus précaires, changent plus souvent d’activité et ont des salaires plus bas que les non-victimes.

Au-delà de ces premiers éléments, il restait toutefois à mesurer véritablement l’impact de cette violence sur les salariés et les entreprises. OneInThreeWomen a donc mobilisé quatre chercheuses, qui ont sondé 40 000 salariés de six de ses membres (Kering, L’Oréal, Korian, BNP Paribas, Carrefour et OuiCare) dans six pays (France, Belgique, Allemagne, Espagne, Italie et Royaume-Uni). Les résultats de cette enquête (« Comment les violences conjugales impactent-elles le monde du travail ? ») mettent en relief trois faits majeurs. D’abord, l’ampleur du phénomène. L’enquête montre que 16 % des femmes et 4 % des hommes interrogés ont « signalé des expériences actuelles ou passées » de violence conjugales, au point, pour un quart de ces victimes, de devoir prendre des congés à la suite de tels actes. Il apparaît également que 20 % des salariés déclarent « subir ou avoir subi » des violences conjugales ayant eu des conséquences sur leur vie professionnelle. Parmi les répondants, 55 % ont constaté des répercussions – retards, absentéisme, baisse de productivité – qui ont affecté leur travail.

Par ailleurs, l’enquête montre que les violences conjugales peuvent aussi se manifester sur le lieu de travail, sous différentes formes. Elles peuvent ainsi être le fait d’appels téléphoniques et de messages injurieux (87 % des cas) de la part du conjoint ou ex-conjoint, d’e-mails (33 %) directs ou de posts sur les réseaux sociaux (27 %), par exemple. Les victimes sont aussi fréquemment harcelées par leur compagnon ou ex-compagnon sur leur lieu de travail ou à proximité (75 % des cas). Plus rarement (37 % des cas), ce dernier prend même contact avec les collègues de la victime, ou menace de les contacter (33 % des cas).

L’impact de ces violences va bien au-delà des victimes. Elles affectent aussi leurs collègues. Selon l’enquête OneInThreeWomen, 10 % des salariés connaissent un ou une collègue ayant subi des violences conjugales. Sachant que les victimes se sentent souvent dévalorisées, voire culpabilisées, cette situation s’accompagne souvent d’un isolement social.

Comment, dans ces conditions, se comporter vis-à-vis d’elles ? Comment susciter et accueillir leur parole ? Au-delà de l’empathie, comment agir plus concrètement pour les aider ? Alors que l’emploi reste souvent le seul lien social en dehors du foyer pour les victimes, encore faut-il que collègues, managers et DRH soient en mesure de repérer les signes de violence, d’accueillir les informations que voudront bien partager les victimes, et surtout, de disposer de moyens d’agir afin de proposer des solutions concrètes.

Actions concrètes

Afin de passer à l’action, les dirigeants de sept grandes sociétés françaises – Kering, Korian, L’Oréal, BNP Paribas, Carrefour, SNCF et Lagardère – ont signé la charte d’engagement contre les violences fondées sur le genre proposé par le réseau OneInThreeWomen.

Ce groupe de précurseurs appelle bien entendu les autres entreprises à suivre leur exemple et à intégrer ce combat dans leur politique RSE. L’objectif est de mettre en place et de partager des bonnes pratiques, qui vont de l’organisation d’évènements jusqu’à des formations à tous les niveaux de la hiérarchie pour accroître la sensibilisation à la distribution de kits d’urgence comportant des numéros d’appel vers des structures spécialisées pour une prise en charge psychologique ou des lieux d’hébergement.

D’autres initiatives, selon les experts, pourraient intégrer la violence conjugale comme motif de déblocage de l’épargne salariale ou donner lieu à la création d’un congé spécifique. D’autres entreprises travaillent également sur ce sujet. En 2018, Carrefour a renouvelé son accord international avec UNI Global Union sur la promotion du dialogue social et de la diversité, ainsi que le respect des droits fondamentaux au travail et revisité le guide réalisé en 2017 par Carrefour Market contre les violences faites aux femmes. PSA, La Poste et EDF ont inclus la lutte contre les violences conjugales dans leur accord collectif en matière d’égalité professionnelle.

Depuis décembre 2018, Franprix forme ses hôtes et hôtesses de caisse à lutter contre les incivilités des clients et les violences faites aux femmes. Mais certains experts, commeSéverine Lemière, maîtresse de conférences à l’IUT Paris-Descartes, préconise une action de l’État, sous la forme, entre autres, d’une obligation faite aux entreprises d’afficher les numéros d’écoute et d’aide pour les victimes de ces violences. Si l’entreprise n’a pas vocation à se substituer aux pouvoirs publics ni aux associations actives dans la lutte contre les violences faites aux femmes, elle a toute légitimité pour apporter un soutien aux victimes et leur entourage professionnel.

C’est en tout cas le message que les entreprises membres du réseau OneInThreeWomen veulent diffuser.

Lire aussi l’exemple d’Alcampo page 20.

Caroline Courtin, responsable diversité, inclusion et RSE RH de BNP Paribas
« Un engagement légitime »

Pourquoi avoir adhéré à l’initiative OneInTheeWomen ?

Notre engagement nous paraît légitime pour trois raisons. La première est relative aux valeurs défendues par le groupe : respect, écoute, bienveillance et solidarité. La seconde est liée au risque de discrimination que les violences peuvent entraîner. La moitié des victimes indiquent en subir des conséquences sur leur travail, sous forme de retards ou d’absences, elles pourraient ainsi être injustement sanctionnées par l’entreprise. La troisième raison est liée à l’accompagnement que nous nous devons d’apporter également aux collègues et managers de victimes, qui peuvent recueillir leur parole.

Quel bilan dressez-vous des actions déjà menées ?

Nous avons déjà mené des actions d’information, comme des sessions durant lesquelles une collaboratrice victime de violences a témoigné. Par la suite, une association spécialisée est venue dans nos locaux afin que les salariés qui le souhaitaient puissent de façon anonyme évoquer leur situation. L’entreprise ne peut pas agir seule. Nous avons la chance d’avoir des assistantes sociales, des médecins et des infirmières, au total 110 personnes, qui accompagnent nos collaboratrices et collaborateurs.

Quelles actions allez-vous lancer en 2020 ?

Nous allons notamment déployer en 2020 une formation digitale qui permettra aux managers et aux collaborateurs d’apprendre à repérer les signaux faibles, de façon à orienter les salariées concernées vers les associations spécialisées capables de les aider. Un livret d’information sera aussi diffusé, ainsi qu’un podcast dans lequel Jane Pillinger, spécialiste des questions d’inégalité femmes/hommes, explique ce que les entreprises peuvent faire pour aider les victimes.

Rémi Boyer, DRH et DRSE du groupe Korian
S’inspirer des meilleures pratiques

Pourquoi avoir adhéré à l’initiative OneInTheeWomen ?

Le groupe est exposé à ce phénomène puisque 82 % de nos 20 000 salariés en CDI sont des femmes. Nous avons constaté, à travers les témoignages d’assistantes sociales ou de directrice/eur d’établissement que nos employées sont souvent confrontées à des situations de violence, qu’elles soient physiques ou psychologiques. Un second motif nous a poussés à adhérer à cette initiative : nous voulions avoir des données plus scientifiques pour objectiver l’impact de ces violences sur notre activité. Enfin, nous voulions bénéficier de l’expérience d’autres entreprises, plus avancées que nous sur ces sujets, afin de nous inspirer des meilleures pratiques.

Quel bilan dressez-vous des actions déjà menées ?

Depuis le début de l’année, nous avons mobilisé nos sept assistantes sociales et préventeurs afin qu’elles orientent les personnes confrontées à ces situations vers les centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) et nous avons aussi renforcé notre coopération avec Action Logement1 afin de repérer rapidement un logement disponible pour un salarié confronté à un conjoint ou ex-conjoint violent. Ces actions ont pour but essentiel d’orienter les personnes victimes de violences vers les organismes les plus qualifiés pour les aider.

Quelles actions allez-vous lancer en 2020 ?

Nous allons lancer une campagne d’affichage afin d’inciter les personnes touchées à en parler à leur directeur d’établissement ou à leur manager ou à une assistante sociale. Nous préparons aussi une formation digitale, sous forme de tutoriel, en partenariat avec les autres membres du réseau OneInThreeWomen. Elle évoquera les situations concrètes de violences conjugales et s’adresse aux managers. Ils pourront ainsi mieux repérer et accompagner les personnes confrontées à ces situations qui, dans deux tiers des cas, préfèrent ne pas en parler. L’objectif est de pouvoir évoquer le problème hors de tout cadre collectif et ensuite d’orienter la personne vers une assistante sociale ou un psychologue.

(1) Organisme paritaire gérant la participation des employeurs à l’effort de construction, sur la base de 0,45 % de la masse salariale pour les entreprises de plus de 20 salariés (source : https://groupe.actionlogement.fr/qui-sommes-nous).

Auteur

  • Lys Zohin, Gilmar Sequeira Martins