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Shadow comex, talent programme… : Les directions d’entreprise font de la place aux jeunes Y

Le point sur | publié le : 18.11.2019 | Lucie Tanneau

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Shadow comex, talent programme… : Les directions d’entreprise font de la place aux jeunes Y

Crédit photo Lucie Tanneau

De nombreux grands groupes ont voulu « faire monter les jeunes » dans leurs instances de direction. Mais, dans l’impossibilité de pousser les murs des comex et codir, la majorité d’entre eux ont créé un shadow comex. Ce groupe, composé généralement de représentants des 25-30 ans, est chargé d’apporter de nouvelles idées et un nouveau regard sur la stratégie et les projets de l’entreprise.

Les comex ont du mal à se renouveler. Le constat porté par Marc Raynaud, expert en management intergénérationnel et fondateur de l’OMIG, est difficilement discutable. « On ne sait pas quoi faire de ceux qui sortent et, avec l’inflation des salaires, on ne peut pas étendre le Comex indéfiniment, analyse-t-il. Mais les présidents ne sont pas aveugles et ils veulent du renouvellement : ils savent qu’il est nécessaire d’écouter les jeunes. » Pour ça, à l’exemple d’Arval dès 2013 ou d’Accor en 2016 (lire pages suivantes), plusieurs entreprises françaises ont décidé de créer des shadow comex. Sur le modèle du fonctionnement de l’opposition britannique, ces groupes, constitués de membres de la génération Y, souvent entre 25 et 40 ans, sont chargés de rencontrer les dirigeants du comex, de leur apporter de nouvelles idées ou un regard critique sur leur stratégie et projets en cours. La Macif, Havas Media, Adecco ont ainsi créé leur groupe de Y. Non intégrés dans le comex, mais proches de ses membres et informés des projets stratégiques en cours.

C’est le cas chez Pernod Ricard où Alexandre Ricard, PDG du groupe, a décidé de mettre sur pied en 2014 un Youth Action Council (YAC) composé de neuf collaborateurs de moins de 30 ans représentant chacun un secteur du groupe (RH, marketing…). « Nous sommes identifiés comme des personnes utiles au top management pour leur apporter des idées ou des feedback sur la stratégie, nous nous sommes vus deux semaines en 2018 et nous retrouverons deux semaines en 2020, mais avons des calls (conférences téléphoniques, NDLR) tous les mois », explique Anaïs Raluy, corporate strategy et M & A manager, en direct de New York. Elle fait partie de la troisième promotion du YAC. « Nous avons participé au One Young World pendant une semaine et au Top Management Seminar de Pernod Ricard, qui regroupe les 400 plus hauts managers du groupe avec la présentation du plan stratégique sur trois ans », raconte-elle. « Nous avons donné notre avis par exemple sur la partie sustainability & responsibility, et nous sommes chargés d’aider à l’appliquer », poursuit la jeune femme.

Chez Arval, la branche de location de véhicules d’entreprise du groupe BNP Paribas, la génération Y représentera bientôt la moitié des effectifs. Le groupe avait lancé le premier shadow comex de France en 2013, pour mieux l’entendre. « Je suis un quinqua et j’ai des enfants de la génération Y. Nous sommes différents. Donc, même si je me refuse à faire un focus unique sur une génération et préfère amener tout le monde à travailler ensemble, il faut s’adapter », justifie Bernard Blanco, le DRH d’Arval.

Reverse mentoring

Le shadow comex a désormais été remplacé par un Talent care avec 40 collaborateurs de 25 à 40 ans, choisis pour leur performance, qui travaillent ensemble (en anglais) sur des sujets stratégiques. « On leur a donné dix sujets, et ils avancent par groupe de quatre. Chacun est managé par un membre du comex qu’il rencontre cinq fois par an. Ce reverse mentoring (collaboration intergénérationnelle, NDLR) est pertinent car on sait que sur certains sujets, notamment le digital, la génération Y qui est née avec est porteuse de créativité et de solutions », analyse-t-il. Reste que pour être utiles, « ils ont besoin du soutien total des présidents pour réussir à s’imposer contre les “tribus” anciennes bien installées », encourage Marc Raynaud. « En France, on a l’habitude de fonctionner avec ses amis de promo ou d’école, de la même génération et qui partagent le même langage, les mêmes manières, avec qui l’on se comprend très vite, met-il en garde. Ces shadow comex sont donc une bonne idée à mettre en œuvre en période de croisière car le monde change vite, c’est une banalité de le dire, mais c’est réel et pour s’adapter au marché, les jeunes qui à trente ans ont déjà vécu dans trois pays, sont plus réactifs et plus conscients des évolutions », encourage-t-il.

Le Medef lui-même a décidé de monter un « comex 40 », sorte d’agitateur d’idées composé de quarante jeunes chefs d’entreprise. L’objectif est triple : réfléchir et anticiper aux impacts et enjeux sociétaux nouveaux sur les entreprises, créer des synergies avec d’autres organisations, des ONG, des politiques, des entreprises, des think tanks en France ou à l’international, et changer l’image de l’organisation pour intégrer les décideurs d’aujourd’hui et de demain. « Le comex a d’autres objectifs, nous apportons une agilité et une visibilité nouvelle au Medef, et notre représentativité (23 femmes et 22 hommes, 70 % des Medef territoriaux et 80 % des secteurs d’activité) offre une légitimité à nos réflexions », défend Paola Fabiani, fondatrice de Wisecom et première présidente de cette nouvelle instance.

Motiver et garder les talents

Mais après douze ou dix-huit mois à côtoyer les instances de direction, que deviennent ces jeunes ? Retour à la case départ ou décollage professionnel ? Les shadow comex ne sont en effet pas des antichambres du pouvoir mais fonctionnent comme des accélérateurs de carrière. « On n’en est pas membre à vie et il est intéressant de capitaliser sur le travail au sein de ce groupe pour préparer la suite », note Édouard Tessier, fondateur du cabinet Anakao. « Je serais naïve si je croyais qu’à 26 ans, on allait me proposer un poste à la direction générale, même si une ancienne du YAC, Amandine Robin, fait désormais partie du codir USA, confirme Anaïs Raluy, chez Pernod Ricard. Mais c’est une initiative qui permet de se motiver et de garder les talents. C’est un plus dans notre job, même si ma priorité reste mon travail. Le YAC peut-être une voie, c’est à nous d’entretenir le réseau dont on a pu bénéficier pendant deux ans », souligne-t-elle.

À eux aussi, ainsi qu’aux instances dirigeantes, de trouver la formule pour que les générations précédentes, les plus âgés jamais consultés de la sorte, ne se sentent pas lésées et que ces jeunes promus n’aient pas un sentiment de poudre aux yeux. Il y a un écueil à prendre en compte. « Les quarantenaires connaissent une crise. La crise de la quarantaine a toujours existé mais, aujourd’hui, les collaborateurs se retrouvent souvent à 40 ans avec une charge de jeune famille, voire des parents déjà âgés dont ils doivent s’occuper, en plus de la pression en milieu professionnel alors qu’ils composent une génération qui ne bénéficie pas forcément de formation, dont on ne s’occupe pas… alors qu’ils font tourner la boutique ! », met en garde Marc Raynaud.

Réfléchir aux enjeux sociétaux

« Heureusement il n’y a pas que les membres du comex qui sont heureux au travail », objecte aussi Bernard Blanco, d’Arval. « On peut être directeur d’un département sans être au comex ou membre du Talent care Programme, on peut avoir d’autres responsabilités, on peut devoir prendre des décisions sans faire partie des 10 % à la tête de l’entreprise ! », corrige-t-il. « Quant à la génération Y, je vois au contraire une génération qui n’est pas forcément statutaire mais qui a envie de projets, d’une ambiance et d’un environnement de travail agréables. » « À 40 ans, je suis élue à la chambre de commerce de Paris et au Medef, je n’avais pas besoin de mandats supplémentaires pour offrir de la visibilité à ma société, mais je crois que pour les trentenaires et quarantenaires la motivation est vraiment de réfléchir aux enjeux sociétaux », confirme Paola Fabiani. « On fera le bilan plus tard mais on voit déjà que c’est par les échanges que l’on fera bouger les choses, et le Comex 40 a une agilité pour échanger, des manières de penser peut-être plus out of the box (créatives, NDLR). »

Auteur

  • Lucie Tanneau