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Entretien : « Les dirigeants doivent faire comprendre l’intérêt des shadow comex aux seniors »

Le point sur | publié le : 18.11.2019 | L. T.

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Entretien : « Les dirigeants doivent faire comprendre l’intérêt des shadow comex aux seniors »

Crédit photo L. T.

Édouard Tessier est le fondateur du cabinet de consulting Anakao* et l’auteur d’une étude de cas sur six entreprises ayant créé un shadow comex. Pour lui, les jeunes générations sont une réelle force de proposition qui doit savoir s’appuyer sur l’expertise des plus anciens pour transformer les idées en solution business.

La génération Y est-elle intégrée dans les comex des grands groupes ?

Malheureusement, pas dans les grands groupes, sauf exception très rare. Les start-up, elles, les associent davantage puisqu’elles ont été créées par des jeunes. Mais les groupes réfléchissent pour faire bouger les lignes et ont créé d’autres instances, comme les shadow comex. On croit d’ailleurs que c’est Accor le premier, mais c’est Arval, filiale du groupe BNP Paribas, qui s’est inspiré du shadow government britannique pour revoir la culture d’entreprise, le management, les offres… Derrière, beaucoup ont repris le concept.

Quel est l’intérêt de ce deuxième type de structures ?

Ce n’est pas un comex, puisqu’il ne décide pas, mais ce n’est pas pour ça qu’il ne sert à rien. Au contraire, détaché de la pression des résultats, des actionnaires, de la responsabilité et de la charge de faire tourner l’entreprise, le shadow comex (SC) est force de propositions pour aiguiller le comex vers de nouvelles directions. Le terme est piégeux car il signifie « ombre », alors qu’il n’a pas vocation à être caché. Au contraire, les gens qui le composent sont souvent dans la lumière, voire sous les projecteurs, car l’entreprise veut montrer que les jeunes ont la parole.

Quelles sont les relations entre le comex et ce « comex bis » ?

C’est ce qu’il faut réussir à inventer dans chaque entreprise. J’anime le SC d’Eiffage, et nous organisons tous les deux mois un déjeuner de travail de deux ou trois heures durant lequel les jeunes présentent au comex leurs réflexions, et celui-ci les oriente vers des ressources et les conseille. Le SC doit avoir un retour sur ses propositions et le comex doit suivre les expérimentations mises en place. Par exemple, la première promotion d’Eiffage a proposé une bourse à l’emploi car elle trouvait la politique RH peu adaptée aux jeunes. Ils sont allés chercher une start-up et ont testé le dispositif dans une région. Le comex a décidé de l’étendre au groupe : cet outil n’aurait jamais existé si les jeunes ne l’avaient pas proposé. Pour autant ses premiers défenseurs ont été les RH, même seniors, qui en ont vite compris l’intérêt.

Quelles sont les conditions de leur réussite ?

La première clé, c’est qu’il y ait une vraie disponibilité du comex pour le shadow comex. Que la stratégie du groupe soit bien expliquée et que le temps accordé soit quantitatif et qualitatif afin de ne pas créer de frustration. Le deuxième point, qui n’est jamais facile, est la sélection. Je pense qu’un SC de 10 à 18 personnes permet de constituer un bon groupe, mais c’est difficile dans des entreprises de 10 000 voire 50 000 personnes. Je recommande que les patrons d’entreprises ou de départements proposent des noms sur le potentiel d’idées de la personne. Il n’y a pas de critères objectifs, c’est la connaissance des gens qui amènera la qualité. Après, on pondère en fonction des sexes, âges, unités de l’entreprise, métiers… Il faut des personnalités et de la maturité.

La troisième clé est que les membres soient sélectionnés pour leur capacité à transformer leurs idées en offre business ou solution RH… Il faut être capable de voir la concurrence, les réseaux, les conditions juridiques, les prérequis informatiques nécessaires à chaque proposition…

Comment passer de la force de proposition à la solution ?

Le rôle des dirigeants est d’appuyer le SC en leur rappelant que pour réussir ils doivent aller chercher les compétences en dehors, notamment celles détenues par les seniors, au bon moment. Ils doivent aussi rappeler à tous qu’il y va de l’intérêt de l’entreprise. La dimension humaine est importante pour que les jeunes soient soutenus…

N’y a-t-il pas un risque que les seniors se sentent exclus… ?

Dans les faits, il y a toujours des frustrations, des gens qui se disent : « et nous, on sert à quoi ? » ou « tout pour les jeunes ! ». C’est légitime. Les seniors peuvent avoir l’impression qu’on cherche à leur réapprendre leur métier. C’est un mécanisme de défense normal. Maintenant si c’est bien géré, j’ai vu des alliances entre jeunes et moins jeunes. Certains comprennent que le SC peut les aider à avancer… comme les RH d’Eiffage.

… Ou que les jeunes aient l’impression d’une « carotte » pour garder leur motivation intacte ?

La participation au shadow comex est, par nature, limitée dans le temps, un ou deux ans selon les groupes, même si l’instance est pérenne. On ne peut pas en être membre à vie donc on se pose forcément la question du « qu’est-ce que je deviens ? » ou « est-ce que je vais avoir accès à une carrière accélérée ? ». Chez Adecco, à la fin de la promotion, chaque personne est reçue par le DRH qui fait le bilan sur ses attentes et envies dans la mesure où le SC lui a ouvert de nouvelles perspectives. C’est intéressant car cela permet de capitaliser sur le travail réalisé. C’est important de préparer la suite. Certains continuent de suivre une idée qu’ils avaient lancée, pendant 5 % de leurs temps, cela leur permet d’être dans autre chose que de l’opérationnel.

La tendance gagne-t-elle tous les secteurs ?

Tous les secteurs en ont besoin car le monde change vite. C’est important pour les comex, dont les membres sont souvent plus âgés, d’avoir des capteurs qui leur expliquent comment la société évolue et qui peuvent leur proposer des idées. Dans les PME, les discussions sont souvent plus directes et le dirigeant peut échanger avec son équipe plus facilement s’il est ouvert : si un jeune a une idée, il peut la soumettre. Ce qui est compliqué dans les groupes avec cinq ou six niveaux hiérarchiques, d’où l’intérêt des shadow comex.

Auteur

  • L. T.