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Denis Monneuse : Du côté de la recherche

Chroniques | publié le : 11.11.2019 | Denis Monneuse

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Denis Monneuse : Du côté de la recherche

Crédit photo Denis Monneuse

Comment faire face à l’impossible ?

Sigmund Freud avait coutume de dire qu’il y avait trois métiers impossibles : gouverner, éduquer et analyser (au sens de faire la psychanalyse d’une personne). Il faudrait en ajouter au moins un quatrième : être téléopérateur. En effet, les salariés des centres d’appel ont beau être peu considérés et toucher des salaires faibles, ils font face à des injonctions paradoxales, c’est-à-dire à des demandes contradictoires. L’injonction paradoxale la plus répandue dans le monde du travail consiste à « travailler vite et bien ». Or l’on sait par expérience que travailler vite peut conduire à commettre des erreurs, par exemple des erreurs d’inattention. De même, travailler bien demande du temps pour réfléchir et s’appliquer.

Les téléopérateurs, eux, font face à une triple exigence. On leur demande d’être à la fois courtois, efficient et efficace. L’efficience fait écho au rendement, en l’occurrence traiter le plus vite possible un grand nombre d’appels. Quant à l’efficacité, elle désigne l’adéquation entre les moyens et les buts : les téléopérateurs doivent agir de manière à remplir la mission qui leur est demandée, par exemple vendre en priorité tel produit ou bien donner des conseils pertinents aux clients au téléphone.

Comment les salariés des centres d’appel font-ils pour faire face à cette triple exigence ? Quel est le secret de ceux qui réussissent le mieux dans ce métier ? Ce sont les questions que se sont posées Colin Clark, chercheur à l’université New South Wales, et quatre de ses collègues. Ils viennent de publier leurs résultats à la fois qualitatifs et quantitatifs dans la revue américaine Academy of Management Discoveries1.

Leur étude de terrain auprès de téléopérateurs travaillant pour une grande entreprise de services financiers leur a permis d’identifier deux grandes stratégies. Premièrement, les téléopérateurs doivent faire preuve de solidarité avec les clients au téléphone. Cela passe par un soutien émotionnel, des marques d’attention, de la pédagogie ou encore l’anticipation de leurs besoins. Deuxièmement, les téléopérateurs doivent contrôler la conversation pour aller droit au but sans perdre de temps. Cela passe par l’accélération de la conversation (en interrompant si nécessaire le client ou en finissant une phrase à sa place, par exemple), par la paraphrase pour s’assurer d’avoir bien compris les propos du client et par le résumé de la conversation.

Les meilleurs téléopérateurs sont ceux qui arrivent à combiner en même temps ces deux stratégies, contrairement aux téléopérateurs qui privilégient seulement l’une ou bien l’autre.

Cette étude peut inspirer bien des salariés, même s’ils ne travaillent pas en centre d’appel. Par exemple, les managers doivent eux aussi faire face à cette triple exigence de courtoisie, d’efficience et d’efficacité dans leurs relations avec leurs équipes. En effet, quand un collaborateur leur pose une question, les managers doivent faire preuve de considération, mais aussi aller vite et répondre de façon pertinente. Il y a fort à parier que les meilleurs managers sont aussi ceux qui mènent de front solidarité et contrôle de la conversation.

1) C. M. Clark, M. L. Tan, U. M. Murfett, P. S. Rogers, & S. Ang (2019). « The Call Center Agent’s Performance Paradox : A Mixed-methods Study of Discourse Strategies and Paradox Resolution », Academy of Management Discoveries, 5 (2), 152-170.

Auteur

  • Denis Monneuse